Friday, December 09, 2005

Chapitre 73 - Paris sera toujours Paris

Un vieux poste de radio fatigué par de longs mois de guerre crachotait L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf. Son propriétaire, un marchand de journaux, essayait de se familiariser avec les nouveaux titres : Le Monde était redevenu Le Temps, Libération avait changé son nom en Libération nationale, L’Humanité était devenu Le Cri du Peuple, La Croix, Le Figaro et Valeurs Actuelles avaient gardé leur nom mais changé de direction et de ligne éditoriale… Tous titraient d’ailleurs la même chose en ce 16 août : AVE IMPERATOR ! Quittant son quartier général des Invalides, l’Imperator fit sa première visite dans Paris libéré. Les combats des quatre précédents jours avaient laissé des traces, aussi bien dans les pierres que dans les cœurs : l’Hôtel de Ville, l’Assemblée Nationale, le Sénat, la plupart des ministères ont été sévèrement touchés par les bombardements, les combats ou les incendies volontairement allumés par les archéo-français en déroute… Si le 15 août on parlait libération, le 16, on parlait déjà épuration. Elle avait saisi à la gorge la capitale dès les derniers coups de feu tirés, quant, aux “ pattes de col ocre ” des unités d’élite de l’armée régulière, succédèrent les “ pattes de col bleu ” de la police quand ce n’était pas les “ pattes de col noires ” des sections spéciales. La voiture personnelle du nouveau chef d’état quitta les Invalides pour une tournée d’inspection visant à voir la remise en place des administrations. Les magasins fermés avaient été ouverts par l’armée qui assurait la distribution d’eau, de nourriture et de produits de première nécessité. Des gamins des organisations de jeunesse collaient sur les murs des affiches annonçant l’instauration de la loi martiale et l’ordre de réquisition de tous les fonctionnaires sous peine de révocation. Révocation qui frappa sur le champ tous les élus, remplacés par des membres du parti ayant vécu dans le quartier et formés lors de la guerre à la gestion municipale. De temps en temps, un mouvement de foule laissait entrevoir que les consignes données par l’Imperator à son chef de la police politique allaient être respectées. Le régime raflait, c’est un fait. Mais malheur au résistant de la 25e heure qui voulait se dédouaner en faisant du zèle : il s’apercevait vite fait que la police militaire était justement militaire… Au niveau de la place Saint-Michel, les hommes de la 1ère division qui avaient pris Paris par le front sud maintenaient l’ordre de manière plutôt virile, à grands coups de crosses de kalachnikov… Baissant la vitre de sa Prestige, l’Imperator héla un sergent-chef. Ses pattes de col vert-pomme et l’aspect ancien de son treillis indiquait un réserviste. Il se présenta : “ Ave Imperator ! Sergent-chef Latreille, Garde Nationale de la Marche, contremaître dans le civil ”. Sa patrouille tenait en respect de leur baïonnette un groupe de femmes d’un certain âge, le genre de poissardes charriées par toutes les révolutions et qui essayaient de faire oublier par des excès de zèle leur collaboration passée. Au milieu, une gamine terrorisée, le tee-shirt déchiré, les cheveux à moitié tondus et une pancarte “ vengeresse ” autour du cou : “ pute à bougnoules ”. L’Imperator hocha la tête : “ amenez la fille au lycée pour catégorie 4 . Quant aux harpies… envoyez-les au centre de détention de l’Institut Dentaire. Ce sont les “pattes de col noires ” du 36e disciplinaire. Elles ne vont pas comprendre leur douleur… ”. A midi, l’Imperator déjeunait rue de Rivoli avec les nouvelles instances dirigeantes que les Parisiens allaient apprendre à connaître. Le ministre de la Justice et son beau-frère, le chef d’état-major des armées, le nouveau ministre de l’Intérieur qui avait commencé humble centurion du service d’ordre du premier noyau de résistance, planifiait la mise à l’écart des collabos de l’ancien régime et ce, à tous les échelons. Des techniciens de l’armée rebelle, formés à ce jour depuis 10 ans, avaient remis en marche immédiatement les chaînes de télévision, les centrales de téléphone et les centrales électriques, formés clandestinement par des techniciens acquis à la cause… A 14 heures, visite du secteur détenu par les 4e et 5e divisions. Par la fenêtre de sa voiture, l’Imperator voyait l’épuration déferler sur Paris. Le 4e arrondissement était totalement quadrillé : les milices ethnico-confessionelles, pourtant équipées comme une armée depuis 1986, n’avaient pas pu résister longtemps. Dès les premières résistances, quelques roquettes de Mi-24 et des tirs tendus des (plus que) vénérables T-72 de la Garde Nationale d’Auvergne avaient fait comprendre que cela ne servirait à rien de rejouer Massada. Les milices avaient été désarmées et on négociait le départ de toute la communauté vers les Etats-Unis, moyennant la tête des 500 plus compromis dans l’ordre ancien… Le 9e lui aussi voyait se lever l’ordre nouveau. La Prestige remonta le boulevard Lafayette. A hauteur de la rue Cadet, elle s’arrêta. Le bunker du Grand Orient avait daigné finir de brûler et, divine providence, la salle des archives était à peu près intacte. Touché par un missile afin d’y faire cesser toute résistance, il avait été investi par deux commandos héliportés et un commando de sapeurs-pompiers rattaché au génie militaire renforcé par leurs collègues de la rue Blanche. L’Imperator vit des jeunes en uniforme et les gabardines noires de la police politique charger des caisses entières de documents internes direction le service des activités anti-françaises installé non loin de là… Plus loin, les demoiselles des Guides du parti en chemisette bleu-ciel étaient rassemblées autour d’un feu improvisé où brûlait la totalité des revues pornographiques raflées dans les librairies du quartier. Au sommet du Sacré Cœur, que l’Imperator avait gravi il y a si longtemps dans la tenue de marche de l’humble pèlerin, le nouveau maître de la France regardait son domaine. On voyait encore la fumée montant de quelques incendies et l’on pouvait entendre le bruit des hélicoptères volant à basse altitude. En tendant l’oreille, il pouvait même percevoir le bruit des chenilles des Leclerc “ archéo-français ” rescapés de la campagne d’Ile-de-France et qui, additionnés à l’hétéroclite force blindée néo-française, allait donner naissance au futur Corps de Bataille dont le quartier-général prévu était Metz. Du coffre de la Prestige, il avait sorti une cage contenant deux colombes, un mâle et une femelle. Il prit les deux columbidés et les lança l’un après l’autre dans le ciel. Les deux colombes volèrent au-dessus de la capitale, planaient, tournoyaient, puis repartaient de plus belle à tire d’aile. La France nouvelle allait connaître la paix

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