Friday, December 09, 2005

Chapitre 58 - Bienvenue à Tradiland

Film réalisé par les services de communication externe de Tradiland visant à montrer à l’étranger la supériorité de la société du jeune état… Thème musical : l’Hymne à la Joie de Ludwig von Beethoven. Une vue de la Terre centrée sur l’Europe. Puis, zoom avancé sur ce qui était jadis la France jusqu’à ce que le champ soit totalement occupé par Tradiland. La camera était centrée sur le Puy-de-Dôme, majestueux, tout auréolé de blanc. Puis, se succédèrent les différents paysages de Vendée, Poitou, Limousin, Bourbonnais, jusqu’aux contreforts du Forez et du Gévaudan, alternant les immeubles modernes que l’on construisait à Poitiers, les troupeaux de vaches du Cantal et même la ligne de front, quelque part en Haute-Loire… Puis, on vit l’Imperator en grand uniforme de chef d’état et la Matrone, la première dame du pays, qui portait l’uniforme des femmes du Parti à la tribune du Congrès annuel.

TRAVAIL

Un boulanger du Poitou sortait les baguettes et les croissants de son fournil, un boucher de la banlieue de Clermont-Ferrand tranchait les entrecôtes du jour, une fleuriste d’un chef-lieu de canton de la Creuse préparait son étal. Dans un petit village du Cantal, une fillette, cartable sur le dos, portant la blouse bleue-marine réglementaire des écolières, allait à l’école en gambadant et en chantonnant. Un universitaire compulsait fébrilement des tonnes de livres au Centre de Recherche de Saint-Marcel (Indre). A Limoges, on chargeait précautionneusement dans un camion des caisses d’assiettes en porcelaine destinées à l’exportation. Dans un petit village des Combrailles, une ouvrière textile réfugiée du Nord cousait une série de jupes plissées, commande d’un pensionnat de l’Allier.

Puis, ce furent les ouvriers de chez Michelin en bleu de travail qui se dirigeaient vers leurs postes (on vendait beaucoup de pneus, surtout à l’exportation), l’immense complexe sidérurgique des Ancizes, des ouvriers de la centrale nucléaire de Civaux qui sur leurs écrans de contrôle surveillaient la principale source d’énergie du pays, les chercheurs d’un laboratoire pharmaceutique des Deux-Sèvres élaborant les nouveaux médicaments, un tracteur labourant un champ en Lozère (la notion de quotas agricoles était un souvenir ancien) , un train de marchandises, un camion-citerne allant livrer leur fret, des cargos manœuvrant au large des Sables d’Olonne, des panneaux solaires étaient installés sur le toit d’un immeuble de Bellac pour réduire au maximum les importations de pétrole en provenance du Gabon et du Venezuela.

FAMILLE

Dans une clinique de Limoges, une sage-femme souriante remettait à une maman qui ne l’était pas moins la petite créature vagissante qui venait de naître. Dans une maison de retraite de Thouars, une grand-mère recevait la visite de ses petits-enfants. Dans un parc de Gannat, une mère de famille se promenait avec une poussette où gazouillait une petite fille que regardait avec joie ses cinq frères et sœurs. Dans un magasin de jouets de Montmorillon, un père de famille, cadre bancaire en costume-cravate hésitait longuement entre un camion de pompier et un avion pour l’anniversaire de son fils. Dans la cuisine d’une cité ouvrière de Montluçon, une fillette faisait ses devoirs. Dans un pré quelque part en Corrèze, un jeune adolescent aidait son père agriculteur à rentrer les foins.

A Brout-Vernet (Allier), un jeune prêtre célébrait la messe. Au Lucs-sur-Boulogne (Vendée), une jeune fille récitait son chapelet devant le monument des victimes du massacre du 28 février 1794. Dans une école primaire de Marvejols, des petites filles sautaient à la corde. Sur un terrain de jeu quelque part dans la banlieue de Poitiers, un père de famille en pantalon de survêtement surveillait le fiston qui tapait dans un ballon de football. Dans le salon d’une maison bourgeoise de Chamalières, une famille au grand complet était attablée pour le repas dominical. Des familles nombreuses sortaient d’une église catholique dont les cloches sonnaient à la volée…

PATRIE

Dans l’espace aérien tradilandais, deux Mig-31 volait en binôme vers le nord. Au large de la Vendée, un patrouilleur côtier (les puristes reconnaîtront un ancestral Osa-II lance-missiles) fendait les eaux bleues de l’Atlantique. Sur la ligne de front, dans le sud du Berry, deux T-90 tiraient au canon de 120 mm. Au sud, une patrouille de miliciens en uniforme bleu-marine surveillait la frontière entre le Cantal et le Lot. Des cadets de l’Académie Militaire de Tulle, portant l’uniforme qui avait été celui de Saint-Cyr avant sa dissolution par le gouvernement hexagonal, écoutaient religieusement un cours de doctrine militaire. Devant les fillettes du pensionnat de catégorie 1 Sainte-Anne-de-la-Providence à Malvières (Haute-Loire) alignées dans un garde-à-vous impeccable en gants blancs, chemisette bleu-ciel et jupe marron-gris, la chef d’équipe des “ Vertes ”, lauréate de la semaine, avait le privilège de descendre les couleurs…

Vinrent ensuite les sportifs les plus en vue du pays, qui défendaient à leur manière la nation. On put voir la championne de gymnastique Elodie Pontarlier à la poutre, avec toute la grâce de ses 15 ans et de son petit mètre quarante-cinq ; le joueur-vedette de la sélection nationale de Rollerball, le défenseur Benjamin Adam et ses 126 kilos dont le faciès de brute épaisse au crâne rasé laissait mal deviner qu’il était titulaire d’un diplôme d’ingénieur ; le champion de motocross Julien Cheyroux qui mettait son casque avant le rallye du Gévaudan ; la jeune championne d’équitation Marie-Flore de Castelbrajeac et enfin les champions nationaux de rugby, les “ Suricates ” de Brive et leur fort contingent Afrikaner. La présentation filmée s’acheva par le but désormais historique du jeune Florent Chartier, avant-centre de l’équipe nationale de football lors du match international opposant Tradiland au Gabon. Une ouverture de 60 mètres du défenseur latéral gauche qui trouva le meneur de jeu des “ noir et or ”. Aile de pigeon de ce dernier qui lui permit de mettre “ dans le vent ” deux défenseurs gabonais puis la passe vers Chartier et la reprise de volée acrobatique de ce dernier qui cloua sur place Désiré-Zéphyrin Moukoko. Gros plan sur la balle s’écrasant au fond des filets.

S’inscrivit alors sur l’écran : TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE. Le but laissa place à un adolescent et une adolescente en uniforme des groupes de jeunesse, elle aussi blonde que lui était brun, avec cette annonce finale, résumant tout l’esprit du film et de la société qu’il incarnait : “ Tradiland. Tout simplement l’élite ”.

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