Friday, December 09, 2005

Chapitre 32 - Bombes sur Clermont-Ferrand

Un vieux tourne-disque d’enfant tournait, futile et dérisoire, dans cette cave où ils s’étaient réfugiés. Fonctionnant avec des piles, il n’était pas tributaire de l’électricité qui avait été coupée. Blottie près du haut-parleur, Amélie, 12 ans, écoutait en boucle une vieille chanson du siècle passé, décembre 1986 très exactement (elle n’était même pas née) d’un groupe américain qui eut son heure de gloire dans les eighties : Crowded House, qui fut deuxième au Billboard (le Top-50 américain) avec la chanson qu’écoutait en ce moment la fillette : Don’t dream it’s over. Amélie ne comprenait pas l’anglais mais trouvait la musique jolie. “ We know they won’t win ” (Nous savons qu’ils ne gagneront pas) disait le refrain. Voilà qui aurait pu mettre du baume au cœur à ces familles réfugiées dans l’abri anti-aérien du secteur de la cité ouvrière Michelin. Le disque se termina par cette phrase qui aurait pu être reproduite telle quelle dans les médiats du régime : “ Don’t ever let them win ” (Ne les laissons pas toujours gagner). Amélie ne remit pas le bras pour écouter une trente-cinquième fois le disque. Elle pleurait car elle sentait vaciller l’abri et de petits bouts de béton s’étaient détachés du plafond. Il y avait une cinquantaine de personnes dans le vaste sous-sol du supermarché transformé en abri-antiaérien. Pour la première fois depuis le début du conflit, Clermont-Ferrand était bombardée par les Mirage-2000 du gouvernement central.
La plupart des réfugiés de l’abri avaient été surpris à leur domicile, l’alerte ayant eu lieu à 10 heures du matin en ce mercredi. Les chefs de blocs en uniforme du parti avaient conduit les habitants vers le centre commercial dès que les sirènes avaient déclenché l’alerte aux avions. C’est en courant que les gens s’étaient précipités vers les abris sous la garde d’un chef de groupe. En surface, les miliciens renforcés par des volontaires des Jeunesses Impériales patrouillaient pour éviter les pillages, parer à d’éventuelles catastrophes domestiques ou prêter main forte aux équipes de pompiers dans le cas où des zones sensibles seraient touchées, comme par exemple les dépôts de carburant de Cournon d’Auvergne. Déjà, des ambulances et du personnel hospitalier réquisitionné venaient d’Aurillac, de Vichy et d’Issoire… Immédiatement, ordre avait été donné aux unités de génie de la Garde Noire et du 92e de montagne de se mettre en position pour assurer le déblaiement. Les lycées et collèges de garçons de l’Auvergne (composée des anciens départements du Puy de Dôme et du Cantal) et du Bourbonnais (l’ancien Allier), catégorie 1 et 2, furent fermés pour la journée et les élèves mobilisés par le Parti pour les assister. Les radars avaient signalé une force ennemie de 24 appareils, qui avaient décollé de Dijon. Vu l’évolution du vol, Vichy et Clermont-Ferrand furent mis en état d’alerte, une attaque sur Moulins et Montluçon ayant été jugée peu probable.
Tout le monde était dans l’abri quand le bruit des premières bombes et des premiers missiles se fit entendre. L’électricité sauta rapidement mais des lampes-tempêtes avaient été prévues. Mis à part quelques personnes âgées, plus personne ne se souvenait des bombardements de la ville par les Américains lors de la dernière guerre. Les gens avaient vécu jusqu’à ces derniers mois dans une fausse paix trompeuse, à peine troublée par la guerre civile. La majorité des personnes de l’abri étaient des Clermontois. Les problèmes des banlieues ne les concernaient peu. Même lorsque la guerre les atteignit, elle fut si courte qu’ils ne la virent guère : après la défection du 92e RI et la destruction des brigades citoyennes locales, il y eut le transfert de population qui vida la Croix-Neyrat, la Fontaine-du-Bac et le vieux Montferrand de sa population refoulée vers le nord et l’est et remplacée progressivement par des familles de réfugiés des camps 71 et 72. Parfois, quand une bombe tombait vraiment près, les piliers qui maintenaient le sous-sol commençaient à trembler. La dernière bombe avait dû frapper le centre commercial. On entendait les bruits habituels de la guerre : le souffle des explosions, le pom-pom des canons de DCA, les sirènes des véhicules de la Milice, des ambulances ou des pompiers. Une mère de famille berçait son bébé. Une petite fille de 6 ans serrait contre elle sa poupée pendant que sa maman la rassurait : “ Ne pleure pas ma chérie, les vilains avions vont partir ”. Un contre-maître faisait les 100 pas en fumant une cigarette qui pourrait bien être la dernière. Le chef de bloc expliquait à tous les enfants des établissements scolaires catégories 3 et 4 que les ploutocrates étaient des lâches qui se complaisaient à bombarder des villes sans défense, jadis l’Allemagne, hier la Serbie et l’Irak, aujourd’hui Tradiland, mais que la fin de leur règne était proche car, dixit l’homme en chemise blanche, “les cadres de l’ordre nouveau formés dans les écoles de catégorie 1 rassembleront nos forces des églises, des usines et des campagnes et, guidant le peuple grâce à nos intellectuels et nos officiers, briseront les chaînes qui maintiennent nos frères en esclavage ”. Rien de moins. Avec ce genre de rhétorique, on comprend mieux pourquoi l’Imperator et le maréchal Bayanev étaient parvenus si rapidement à un traité d’assistance militaire…
L’histoire était entrain de s’écrire et les gens terrés dans ce sous-sol de supermarché la subissaient plus qu’ils n’y intervenaient. Depuis que les rebelles avaient pris le contrôle de la capitale auvergnate, beaucoup de choses avaient changé, en bien ou en mal en fonction du côté duquel on se place. La musique avait changé, de même que les programmes de la télévision, le contenu des cours pour les enfants, les films à l’affiche. La mère d’Amélie se souvenait des séries télé d’avant-guerre, clichés politiquement corrects, convenances protocolaires : le méchant raciste était forcément blanc, le Maghrébin toujours innocent, le Juif toujours victime. En histoire, c’était la sale France de Vichy, la sale France coloniale, le démon hitlérien. La musique était celle des groupes nègres de rap… Maintenant, tout avait changé. Enfin, le contenu surtout, pas vraiment les méthodes. Comme lors des batailles on passe à gauche, au centre ou à droite, en propagande il n’y a pas 300 méthodes… Donc, nouveaux films, nouveaux messages, nouveaux gentils, nouveaux méchants, vieille technique… Dans les séries policières, le pauvre flic de souche était victime d’accusations mensongères de racisme, le violeur et le tueur étaient plus conformes à la représentativité de la page “ faits divers ”, le financier véreux s’appelait plus souvent Aaron Blumenstein que Charles-Hubert de la Haute-Branche… En Histoire, on continuait le devoir de mémoire. Mais pas le même : crimes de Roosevelt, crimes de Churchill, crimes de la République, crimes du FLN. On avait démoli des statues, érigé d’autres. Les coupables d’hier étaient les héros d’aujourd’hui, et vice et versa. Et le plus comique, c’est qu’à 82 % les gens s’en moquaient, et ceux qui, jeunes adultes le 21 avril 2002, avaient défilé poing serré en criant “ A mort Le Pen, Vive la République !” étaient les parents de ceux qui défilaient maintenant place de Jaude bras tendu en criant “ A mort les traîtres, Ave Imperator ! ”
Au Bunker Palace, le général Fichaux, chef de la défense aérienne, faisait le bilan : “ Nous avons à déplorer environ 300 morts, essentiellement quand ils ont délibérément bombardé trois objectifs civils : la cathédrale, l’Hôtel-Dieu et La Châtaigneraie. Nous avons réussi à abattre 5 appareils ennemis avec les batteries de DCA d’Aulnat, d’Orcines et du Crest. Notre chasse est insuffisante et est mobilisée pour les campagnes extérieures. Ils peuvent revenir à n’importe quel moment, nous serons toujours impuissants face à eux. Là, ce n’était qu’un petit bombardement, mais imaginez qu’ils décident de nous refaire Dresde… ” Mains dans le dos, l’Imperator regardait par la fenêtre. “ Nous avons comme objectif d’aligner avant la fin de l’année 8 escadrilles de chasse et 4 de bombardement, sans oublier les unités de reconnaissance. Le traité de coopération signé avec le maréchal Bayanev nous fournira les avions nécessaires, essentiellement des appareils venus des stocks de l’ancienne Armée Rouge, mais aussi de la Chine populaire et de la Corée du Nord, le tout transitant par Minsk. Pas vraiment modernes, mais rustiques, faciles à entretenir. Nous devons réussir à convaincre Moscou, qui ne respecte pas l’embargo contre nous, de nous fournir via l’Ukraine 6 bombardiers lourds Tu-95 et 12 bombardiers Tu-22. Ne rêvons pas, jamais nous n’obtiendrons l’accord des Russes pour acheter 6 de leurs Tu-160… Pourtant, ces Blackjack nous auraient été fort utiles, mais bon, on va se contenter des Backfire… Dès que les pilotes auront été formés et les appareils arrivés, nous allons pouvoir lutter à armes égales. Mais pour le moment, nous devons songer à enterrer nos morts et faire passer aux usurpateurs toute envie de réitérer ce genre de lâchetés… ”. Il mit en marche son interphone et lança : “ Charbonnier, ma petite, vous me faites venir illico le général Dieuze… ” Quelques instants plus tard, le chef d’état-major des armées tradilandaises faisait son entrée dans le bureau impérial. Tendant le bras droit et se frappant la poitrine de la main gauche avec son béret noir des troupes d’élite, il lança : “ Ave Imperator ! Servitori te salutant ”… La réunion d’état-major se prolongea durant une heure. Entre-temps, ils furent rejoints par le colonel Hoffmann, qui portait les pattes de col orange des unités stratégiques…
L’Archange Gabriel se posa sur l’aéroport d’Aulnat qui n’avait même pas été touché. La Prestige impériale se dirigea vers les quartiers touchés par l’attaque archéo-française. La cathédrale avait été frappée de plein fouet, on le remarquait dès l’arrivée dans la ville. Des colonnes de fumées impressionnantes s’élevaient à divers endroits de la ville, preuve de l’utilisation de bombes incendiaires, lâchées notamment sur l’Hôtel-Dieu, le Cours Sablon, Montferrand, la Muraille de Chine et les communes voisines de Beaumont, Chamalières et Gerzat. Les sirènes des ambulances hurlaient dans la ville, de même que celles des voitures de pompiers. Quartier par quartier, l’Imperator visitait la ville meurtrie, utilisant sa force physique herculéenne pour aider à déblayer un immeuble, transporter un blessé, ou donnant même son sang dans un cas d’urgence. Devant un parterre de survivants, il promit des “ représailles bibliques ”. Il tint parole.
La totalité des émissions de radio et de télévisions stoppèrent immédiatement leurs émissions. Le jingle des grands jours et des heures sombres retentit et la voix martiale annonça le gimmick habituel : “ Tradilandais, Tradilandaises, votre chef bien-aimé vous parle ”. Le fond de l’image montrait l’Imperator au PC des Opérations, signe que les événements étaient graves. “ Ave ! Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, les usurpateurs ont continué dans leur logique de génocide de notre peuple en bombardant ce matin à 10 heures la ville de Clermont-Ferrand. Ils ont bombardé les quartiers civils, notamment deux hôpitaux. J’ai vu périr des gens qui n’étaient pas des combattants, j’ai vu une maternité touchée par les bombes et des bébés mourir dans les premières minutes de leur vie, coupés en deux avec leur pauvre mère par les bombes des criminels ploutocrates. Aussi, en concertation avec le général Dieuze, chef des Armées, le colonel Hoffmann, chef des Forces Stratégiques, Monseigneur Collet évêque de Clermont et le général Grand, n°2 du Parti, j’ai décidé de mettre la totalité du pays en Défense Contrôle 3 et de prendre les dispositifs du plan Malchius. J’avais promis des représailles bibliques. Je tiens mes promesses ” D’un geste nerveux, il pressa sur le bouton rouge. Quelques secondes plus tard, les forces du 150e régiment de guerre stratégique virent les missiles de leurs camions pointer droit vers le ciel. Dans un bruit de tonnerre, une salve s’en alla semer la mort de l’autre côté de la ligne de front…
Au NORAD (Dakota, USA), centre des forces stratégiques de l’armée américaine… “ 5 missiles sol-sol conventionnels de type SS-20 dénucléarisés viennent d’être tirés depuis le centre de la France, zone rebelle. Trajectoires calculées, impacts probables : Rouen, Toulouse, Marseille, Lyon, Paris ”. En renforçant et modernisant le système de guidage, les anciens missiles SS-20, devenus dans la nomenclature rebelle AR-3 (armes de représailles 3) avaient atteint une précision de 5 mètres. Tous les missiles atteignirent leurs cibles : la raffinerie de pétrole de Petite-Couronne, l’usine SNPE de Toulouse, l’usine Eurocoptère de Marignane, la centrale nucléaire de Creys-Malville et l’Assemblée Nationale… Le bilan fut un peu moins lourd que celui de Clermont, mais les effets dans le morale de la population furent désastreux pour le gouvernement, car, notamment en ce qui concernait les frappes sur Toulouse, Rouen et Lyon, la dangerosité de ces objectifs frappés “ avec retenue ” laissait présager le pire si Tradiland décidait de passer au format supérieur… A titre anecdotique, le bombardement de Paris fit au moins 38 heureux : les suppléants des députés dont les corps avaient été retrouvés dans les décombres du Palais Bourbon…

2 Comments:

Blogger Daniel Fattore said...

Bricole de traduction (traducteur un jour...), à mon avis: "Don't ever let them win" se traduirait plutôt par "Ne les laisse jamais gagner" - et pas "Ne les laissons pas toujours gagner" (mais quand même une ou deux fois!). C'est plus percutant, non?

11:42 PM  
Blogger Enzo said...

Bien vu, je vais corriger cela.

11:59 PM  

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