Cela faisait deux jours qu’ils n’avaient pas dormi, cinq jours qu’ils n’avaient pas mangé ou peu s’en fallait. Ils n’étaient plus que dix-huit. Dix-huit rescapés de ce qui fut la 4e compagnie de chasse du 12e régiment Jeunesse Impériale, rattachée temporairement au 638e régiment d’infanterie légère. Une pluie torrentielle s’abattait sur la forêt, il faisait nuit et le jeune chef de patrouille (grade équivalent à sergent-chef) Thomas Nedellec faisait le point des effectifs. L’état des lieux était rapidement fait : 7 Cadets de la section Luis Moscardo dont un élève-officier, 4 Cadets de la section Scouts de Perros-Guirec, 4 Cadets allemands de la Breslau HJ, 2 Cadets de la section Philippe Daudet et l’élève-tambour Kuntz, qui n’avait pas à être là mais qui y était quand même… Un régiment d’un millier de soldats totalement exterminé et dont ils étaient les seuls survivants. Avant de succomber dans un combat par trop inégal, l’unité avait rempli sa mission : ralentir au maximum l’offensive gouvernementale le temps que le piège se referme sur l’armée régimiste. Bien évidemment, les gamins ne savaient pas quel plan forcément génial avait été concocté par « le Père de la Nation » et qui nécessitait le sacrifice de tout un régiment.
Cette nuit, ils avaient enterré le seul adulte qui était encore avec eux, leur Compol. C’était lui qui, malgré ses graves blessures, avait pu les guider à l’abri. Touché au ventre, il avait mis des heures à mourir, ses mains couvertes de sang pressant vainement son ventre perforé. Quand le froid annonciateur de son départ vers l’Achéron le saisit, il fit venir Thomas près de lui et lui donna ses ultimes conseils : «Mon petit, c’est fini pour moi. Vous allez être touts seuls maintenant, livrés à vous-mêmes. Votre mission, si tant est qu’il reste une mission, c’est de rentrer à la maison. Le 638e n’existe plus. En marchant vers le sud, vous retomberez tôt ou tard sur nos lignes. Je suis fier de vous… ». Désormais, le commissaire politique reposait dans la glaise, près du lit de la rivière. Ils avaient roulé une pierre sur la fosse, en guise de sépulture. Ils y écrivirent à l’aide d’une roche crayeuse : « RIP Gérard Duval, 42 ans, Commissaire de régiment, tombé au combat le 2 février pour la libération de Tradiland, notre Sainte Patrie ». Maintenant, il n’y avait plus de 4e commando de chasse, il y avait 18 gamins transis de froids, affamés, épuisés et qui ne savaient plus où ils étaient. Ils arrivèrent à la lisière de la forêt, près d’un champ. Le spectacle d’apocalypse les saisit à la gorge : il y avait des carcasses de véhicules partout. « Mon Dieu », murmura Thomas, « c’est un véritable cimetière. Il n’y a plus rien qui bouge. Ce sont les nôtres ou les leurs ? Couvrez-moi, je vais voir si je trouve du ravitaillement ». Un jeune cadet lui murmura : « je viens avec toi, je veux voir les véhicules, c’est ma spécialité ». Sous la protection des autres cadets, ils rampèrent vers les cadavres mécaniques. Le petit passionné de matériel de guerre arriva à proximité d’un véhicule à chenilles en triste état : ses trois canons jumelés pendaient lamentablement dans le ciel et son flanc était éventré par une roquette air-sol. Le cadet tapa sur la carcasse : « Ça, c’est un tank antiaérien ZSU-30-6 soviétique, donc c’est un des nôtres. Ils ont dû les faire monter à l’avant quand les avions ont attaqué… » Ils rampèrent de concert vers un autre blindé détruit : « AMX-30, il a encore ses cocardes, c’est un gouvernemental ! Mince, t’as vu ses marques d’unité ? C’est la 2e DB ! ». Le chef de patrouille hocha la tête : « Regarde là-bas, l’espèce de jeep, c’est peut-être intéressant » « Ta jeep, c’est un UAZ 469 russe, donc de chez nous. On ne doit pas être loin du PC régimentaire. Une chose est sûre, c’est qu’on est touts seuls, exceptés les cadavres et les corbeaux… Je crois que notre régiment a été anéanti mais qu’en face, ils n’ont pas fêté longtemps leur victoire… Hé, regarde-moi ce bestiau ! Il était tout neuf avant d’être détruit… incroyable, c’est un EE6-Carcavel ». Nedellec haussa les épaules : « Enchanté, moi c’est Nedellec ». Le cadet répliqua : « attends, t’as rien compris ! Le Carcavel, c’est brésilien comme char, et on en n’a pas, ça je le sais. Donc, c’est forcément un char du gouvernement. Et si les gouvernementaux nous lancent des Carcavels flambants neufs, ça veut dire que… » « que ? » « que le potentiel blindé de la république est totalement anéanti ou peu s’en faut… Oui, oui, ouiiiiii, on a gagné cette foutue guerre ! On a eu la peau de la catin à bonnet phrygien… » Thomas lui tapa sur l’épaule : «Oh, oh, mollo, beaucoup de fusil fiston. Je te rappelle qu’on est en zone ennemie, Dieu sait où, qu’on n’a rien dans le ventre depuis 5 jours et qu’on tient debout par miracle. Si on ne trouve pas de la bouffe d’ici ce soir, tout ce qu’on aura gagné, c’est de servir de repas aux corbeaux. Tu as la force de monter sur le gros char là-bas ?Celui avec le radar… » Le cadet en avait presque les larmes aux yeux : « Oh les salauds, ils nous ont détruit un Shilka ! Quasiment ce qu’on a de mieux ! » Hochement de la tête désapprobateur du chef de patrouille : « Toi mon garçon, tu vas faire carrière à l’état-major, tu iras dire à la veuve et aux orphelins : désolé madame, désolé les enfants, votre mari, votre papa est mort mais réjouissez-vous, le ZSU-23-4 est réparable, c’est une bonne nouvelle non ? » Hissé tant bien que mal sur la carcasse du char, il scruta l’horizon. « Je ne vois rien, des trucs qui flambent par là-bas dans les champs… une offensive blindée ennemie qu’on a stoppé net apparemment… la pente douce, la rivière en bas… hé… une ferme !!! Une ferme de l’autre côté de la rivière ! Steak et jambons sur pattes en vue ! »
Courrant vers leurs lignes tête baissée, du moins autant que leur permettaient les forces qui leur restaient, les deux cadets informèrent les autres de leur bonne fortune : une ferme sur la rive opposée, soit approximativement 4 kilomètres. Rassemblant sa fierté et son courage, s’improvisant meneur d’hommes, Thomas Nedellec sonna le rassemblement. « Elève-tambour Kuntz, vous savez jouer la marche en avant ? ». Le bambin répondit : « Bah évidemment ! C’est la première chose qu’on apprend ». Roulement du tambour. Un par un, les Cadets s’engagèrent sur le chemin forestier descendant à la rivière, la kalachnikov en bandoulière. Ouvrant la marche, les chefs doivent donner l’exemple, Nedellec marchait lentement en pensant à la bataille qu’il venait de vivre. Une semaine à tenir face aux assauts des troupes françaises. Il revoyait le Compol, bien sanglé dans sa gabardine de cuir, celle-là même dans laquelle il avait été enterré, déclarer : « Un mort pour 19 ennemis de tués, c’est le taux de perte autorisé, ordre du gouvernement, notre sacrifice leur donne du temps ! » Et ils avaient tenu. Cadets comme anciens. Le 638e n’avait pas volé en éclats, il avait lentement fondu, comme un glaçon, plus exactement, comme le sucre fond pour devenir du caramel. Un caramel collant dans lequel s’était englué l’envahisseur. Le 4e commando de chasse était une unité d’avant-garde, rattachée aux unités de reconnaissance du 638e de ligne. Leur but était de s’infiltrer dans les lignes ennemies, récolter un maximum d’informations, puis revenir. Ou, s’il était impossible de revenir, se transformer immédiatement en unité de partisans. Ils avaient fait et l’un, et l’autre. Ils avaient entendu parler de la guerre, ils l’avaiente vu dans les films qu’on leur montrait aux Jeunesses Impériales, dans les récits des anciens… mais là, c’était pour de vrai. Dans ces moments-là, seuls comptaient l’instinct de survie et l’application stricte de ce qu’on avait appris. Ce n’était pas les rizières de l’Indo, les djebels d’Algérie, les déserts du Tchad ou d’Irak, la jungle de la Côte d’Ivoire ou les montagnes du Kosovo, là où les instructeurs s’étaient battus pour un pays qui n’était plus le leur. C’était juste la Charente. Ce qui avait été leur pays ou ce qui l’était encore ou ce qui aurait dû l’être. Un univers de champs, de vignes, de forêts, de villes et de villages. Maintenant, un univers lunaire dans la zone de combats. Nedellec avait vu la guerre de près, de très près et sa décision était prise : s’il revenait vivant de cet enfer, il demanderait son intégration à l’Académie Militaire… pour y revenir au plus vite ! Il avait eu son baptême de feu entre les rafales de mitraillettes et les explosions des grenades. Tout lui revenait en mémoire en vapeurs enivrantes, souvenirs opiacés lui donnant la force de continuer. Le colonel Kurtz avait raison : l’odeur du napalm au petit matin sent la victoire… Les tirs des obusiers de 155mm des républicains qui tombaient au hasard à côté d’eux, la fraternité d’armes, la camaraderie, tu tombes je te relève, je tombe tu me relèves. Les premières grenades tirées, les explosions proches, voir l’ennemi stoppé net, l’accalmie entre deux offensives repoussées. Ils avaient quitté leurs lignes pour s’infiltrer sur les arrières de l’ennemi, avaient espionné, saboté, abattu des officiers. La première fois, ils avaient réussi à rentrer, non sans pertes. Au QG régimentaire, ils avaient fait leur rapport. Il y avait dans la pièce des mercenaires biélorusses de la Andrei Vlassov. Un colosse balafré, blond comme les blés de son Ukraine natale lui avait ébouriffé les cheveux paternellement, tiré les oreilles en riant et en criant, d’une voix chargée de vodka : « Partisan ! Hurrah Partisan ! » en lui tendant la bouteille. Par politesse, il but une gorgée (« Yurk, encore plus dégueulasse que la vodka polonaise ») puis, avec le courage de l’alcool, lança au russe : « Niet partisan ! Werewolfen ! » L’ex Soviétique lui tendit la bouteille. Ils riaient de bon cœur avant de repartir au combat, avec pour mission de glisser entre les lignes ennemies et d’y rester jusqu’à nouvel ordre. Paradoxalement, c’est cette mission périlleuse qui permit la survie de la dernière poignée de Cadets.
Ils avaient donc fait la guerre, premier engagement dans ce qui allait rester dans les livres d’histoire comme « la bataille de la poche de la Charente ». Cette bataille que d’aucuns jugèrent comme le tournant de la guerre civile, fut appelée aussi « les mortelles vendanges ». C’est du moins le nom que lui donna Thomas dans une lettre qu’il écrivit à ses parents. « Dans son Epître aux Galates, Saint-Paul disait : «Il n'y a ni hommes ni femmes, ni Juif, ni Grecs, ni hommes libres ni esclaves, vous êtes tous un en Jésus-Christ». Sur le champ de bataille, il n’y a plus de catégories, plus de classe sociales, plus de nationalité. Il n’y a plus que Dieu et le Parti. Il n’y a plus que Tradiland. Nous sommes au coude à coude sur le coteau, Jeunesses Impériales, armée régulière, mercenaires, volontaires étrangers, Commissariat Politique… Nous sommes dans les vignes et nous sommes des raisins dont la guerre est le pressoir. Et ceux d’entre nous qui seront vendangés, qui seront pressés, donneront le même vin rouge qui arrosera la terre quelque fut l’origine du raisin. A notre humble niveau, nous sommes une petite Cène. Mange notre corps et bois notre sang, ô terre nourricière. Comme le dit cette chanson que nous avons chanté tant de fois : « Sang et vin mêlés ruissèlent, sang et vin gaulois ». Si nous devons mourir, soyons le levain d’un nouveau peuple. Cette fois, l’Union Sacrée est pour la seule cause valable : la libération de notre peuple. C’est à l’heure présente notre seul devoir ». Le 4e commando de chasse fut rapidement coupé de ses bases arrière et perdit par attrition ses officiers, ses sous-officiers à l’exception de Thomas, tous ses Cadets sauf les 16 rescapés. L’élève-tambour Kuntz traversa les batailles sans même une égratignure. Comme pour le Grégoire de la chanson chouanne, les balles devaient estimer : « T’es bien trop petit mon ami, dame oui… ». Essayant de regagner leurs lignes sous le feu de l’ennemi, ils parvinrent à gagner la forêt. Ils y restèrent bloqués une dizaine de jours, essayant de tracer leur route vers la frontière. Jour après jour, les effectifs diminuaient, la faim, la fatigue étaient de plus en plus insurmontables. Mais le 4e de chasse était devenu un abcès de fixation. La destruction du 638e régiment avait permis aux gouvernementaux de progresser sur quelques kilomètres, coupant d’autant les Cadets de leur camp. Faisant avancer ses maigres troupes en marche forcée, Thomas se voulait rassurant : « Allez-y, Cadets en avant ! Cadets en avant ! Là-bas dans son Bunker Palace, l’Imperator ne nous oublie pas. Il ne faut pas que l’ennemi passe, il a foi dans ses petits gars… ». Comme si les 18 derniers soldats en état de combattre pouvaient changer quoi que ce soit au sort de la guerre… Mais il avait raison sur au moins un point : en haut lieu, on ne les avait pas oubliés…
Au GQG, le général Dieuze avançait des petits carrés magnétiques sur la grande carte Michelin déployée sur le mur. « Le 638e a 99 % de pertes. Aux dernières nouvelles, une vingtaine de rescapés, des Cadets, ont trouvé refuge ici, dans la forêt. Le régiment a tenu plus qu’il ne fallait… Nous avons pris au moins 9 régiments ennemis dans la nasse, peut-être 15… On va détruire presque un quart de l’armée ! C’est presque trop beau pour être vrai ! Nous allons anéantir la quasi-totalité de leur potentiel blindé. Leur belle offensive de printemps va s’achever avant même d’avoir commencé ! Quelles sont tes consignes, chef ? » L’Imperator réfléchit quelques instants : « Envoie le 315e régiment d’hélicoptères d’assaut retrouver les petits coûte que coûte. Pour remplacer le 638e, faite une ligne de défense avec le 13e régiment de Légion qui devra tenir pendant que les 1e , 3e et 4e Panzer vont écrabouiller tout ce qu’il y a dans la poche avec appui massif de notre aviation. Nous avons perdu pas mal de nos chars anti-aériens, mais je crois qu’avec le nombre d’avions qu’ils ont envoyé au tapis, on peut parler de l’Armée de l’Air au passé… Faites un premier passage avec les Mig-31 pour voir s’il reste encore des menaces et ensuite, chargez nos vieux Sukhoi et Iliouchine avec le plein de napalm et cramez-moi tout ça… Je veux que l’incendie de leurs chars ressemble à Rome brûlée par Néron ! Je veux que dans 50 ans, les vieux paysans au coin du feu racontent à leurs enfants : j’ai vu l’armée républicaine être anéantie en Charente. Une fois qu’on aura fini avec eux, on se retire ». Le général Dieuze sursaute : « Pardon ? Tu veux dire qu’on n’occupe pas le terrain ? On se fait aplatir le 638e, un millier de soldats morts, et pour ne pas exploiter notre victoire… Désolé chef, là, je ne comprends pas ». L’Imperator ne parla pas pendant une longue minute puis appuya sur son interphone : « Charbonnier, ma petite, apportez-moi l’organigramme du 638e ». Quelques instants plus tard, il ouvrit un épais classeur de cuir noir. « Voici qui dirigeait feu le 638e… Colonel Gonéry Le Tallec, 48 ans, marié, 9 enfants, détaché du 9e régiment d’infanterie de marine. Tu le connaissais je crois, sa petite Bertille est en classe avec ta dernière. Lieutenant-colonel Martial Robin, 49 ans, marié, 3 enfants… Rappelle-toi, c’est l’officier qui commandait cette batterie d’artillerie qui s’est mutinée en notre faveur. Lieutenant-colonel François Catroux, alors là, c’est juste le beau-frère d’un de nos ministres…Imagines-tu que j’aurais osé un instant les faire mourir pour rien ??? Tu me prends pour Joffre, pour Nivelle ? En me contentant d’anéantir leur potentiel offensif, je fais plus que les détruire : je les humilie ! Toute leur propagande sur notre « volonté de conquête » fichue en l’air. Ils s’apprêtaient à nous frapper, on arrive, on leur fiche le nez dans la boue et on repart, débonnaires… Ne confonds pas cela avec de la mansuétude naïve comme Dunkerque. Mon message est clair : votre république est de la merde et je la renverse quand je veux, le jour où je veux, dans les circonstances que je veux… De plus, nous avons besoin d’un délai d’un an pour bien asseoir nos bases arrière. Ne te mets pas martel en tête, mon fidèle Dieuze.. ». Il ouvrit son armoire à liqueur et sortit une bouteille de Cointreau et deux verres à alcool. « L’an prochain à Paris ! C’est nous qui buvons, mais ce sont eux qui vont trinquer…» dit-il en choquant son verre avec celui de son chef d’état-major…
La rivière était là, tendant son bras. Ils pouvaient entendre le bruit de l’eau qui courait. Tout est calme, paisible. On entendait chanter les oiseaux. On devinait de l’autre côté l’objectif ultime de l’unité : la ferme. La tranquillité champêtre tranchait avec le vacarme assourdissant de la guerre. Un Cadet, au bord de l’épuisement, s’installa sur une souche d’arbre, montrant de la main le paysage : « S’arrêter et vivre ici… » « Vivre ici je ne sais pas, mais crever ici, c’est bien parti pour !!! Regarde plus bas… », déclara Thomas en pointant du doigt les ombres qui faisaient leur apparition en contrebas. Une unité de l’armée républicaine, probablement à leur recherche, remontait en leur direction. Pour le moment, les Tradilandais avaient l’effet de surprise, mais cela ne durerait pas. « Nous sommes 18, ils sont au moins le double… On fait quoi ? » demanda un Cadet blond aux larges épaules. « Kuntz, il faut les rassembler, c’est le moment de bien frapper la marche en avant… Franchir cette put..n de rivière c'est revoir nos pères et nos mères. De toute façon vous n'avez pas le choix de reculer d'un pas, notre chère Camarde est derrière avec sa faux en bandoulière. Baïonnettes au canon ! On va les embrocher en corps à corps… Pas de prisonniers et pas question de tomber vivants entre leurs mains ! ». Le silence fut déchiré par le bruit de la rafale de pistolet-mitrailleur qui faucha la première ligne des soldats. Allongés dans l’herbe et les fourrés, les Cadets vidèrent leur chargeurs. Comme il ne leur restait quasiment plus de munitions, les derniers clips furent distribués à ceux qui allaient couvrir le « commando suicide » qui chargerait à l’arme blanche. Les dernières grenades faisant diversion (et dispersion pour ceux qui les reçurent), les Cadets étaient presque au contact quand les munitions furent épuisées. La première ligne des Bleus fut littéralement embrochée. La seconde fit un baroud d’honneur mais les dernières munitions eurent raison d’elle. Quant à la troisième ligne, elle s’enfuit sans demander son reste, abandonnant ses armes. Le bilan était lourd : un Cadet allemand était affalé au sol, du sang plein la bouche. Un autre couinait en rampant, une balle bientôt mortelle dans le dos. D’un fourré, une main dépassait, immobile… Au total, sept de plus ne rentreraient pas à la maison. Pour les onze rescapés (dont le petit Kuntz) jamais la ferme ne sembla aussi loin. On ne pouvait pas vraiment parler de mutinerie, mais de désespoir généralisé amenant à la mort par inanition. Le sergent-chef essaya une dernière fois de rassembler ce qui pouvait l’être encore, faisant appel à ce qui avait de plus sacré dans l’âme de ses soldats : « Nous n’avons le droit ni de renoncer, ni de désespérer. Si nos unités portent le nom qu’elles portent, c’est parce que nous avons le devoir moral d’être les héritiers de notre peuple, les gardiens de notre mémoire. Vous, Cadets de la Luis Moscardo… » Les rescapés de cette unité hochèrent la tête. L’histoire était connue de tout enfant de catégorie 1, de quasiment tous ceux de catégorie 2. Tolède, Espagne, 23 juillet 1936. L’Alcazar tient toujours face aux criminels rouges. A l’intérieur, le colonel Juan Moscado, plus de 1700 réfugiés dont 221 enfants. L’officier sait que les fanatiques républicains, avides de sang de chrétien comme leurs ancêtres français et leurs amis soviétiques massacreront tout le monde en cas de reddition. Mais pour le faire céder, le « loyaliste » Cabello a recours à la lâcheté coutumière des humanistes : il va faire enlever Luis, un adolescent de 16 ans, fils de l’officier. Si ce dernier ne livre pas à la mort les gens sous sa responsabilité, les républicains tueront son enfant. Après un entretien émouvant, le fils acceptera de se sacrifier pour que l’Espagne ne sombre pas dans la barbarie. Il sera abattu d’une balle en pleine tête, mais la victoire de Tolède fut la première étape de la libération de l’Espagne. L’élève-officier continuait : « Vous, Cadets de la Scouts de Perros-Guirec ». Nouvel hochement de tête des intéressés. 22 juillet 1998. Les Scouts Marins font un entraînement de routine à Perros-Guirec. La météo n’annonce pas le coup de vent de l’après-midi. La volonté de Dieu fit que leur embarcation se renversa. Sur 7 petits scouts, quatre moururent, lâchant prise un par un, les plus âgés exhortant les plus jeunes à tenir bon, priant Dieu en ces instants tragiques. Aussi émouvant que le naufrage de l’USS Indianapolis en 1945, quand les marins subirent une semaine durant l’assaut des requins… « Vous, Cadets allemands de la Breslau HJ ». Les deux Allemands survivant rectifièrent la position, pieds écartés à 45°, claquement des talons. Février 1945, l’Allemagne se bat avec l’énergie du désespoir contre ceux qui depuis quatre ans ont ouvertement planifié l’extermination de son peuple, obstacle à leur ténébreux condominium matérialiste. Regroupée autour de son chef que l’empoisonnement méthodique d’un médecin renégat avait affaibli, elle voit brûler ses villes, violer ses mères et ses fillettes, tomber l’élite de ses pères et de ses fils. Nibelungen. Dans Breslau encerclé, des jeunes adolescents, des enfants même, se battent pour vivre libres dans leur pays. Le sort qui les attend ? Pour les garçons, la mort, pour les filles, le viol et la mort. Alors, à un contre trop, les Hitlerjungend de Breslau font face, se battent et meurent en chantant, infligeant des lourdes pertes aux hordes de Staline, héroïques petits partisans d’une Europe debout face à ceux de l’Europe à genoux. Ceux que la mort ne délivra pas sur le champ de bataille périront dans les camps de la mort de Russie, de Pologne ou d’Allemagne orientale. « Vous enfin, Cadets de la Philippe Daudet ». 24 novembre 1923. L’Action Française a entamé un bras de fer contre le régime. En janvier, Marcel Plateau est abattu par une anarchiste, qui sera acquittée en décembre par la justice républicaine. Saignée à blanc par la Grande Guerre, l’AF avait cru naïvement que la mort de 90 % de ses jeunes cadres dans la boue des tranchées allait lui valoir une place en France. Mais la répartition des tâches était établie en République : pour le catholique le plomb, pour le « bon républicain », l’or… En ce triste jour, Philippe Daudet, 14 ans, fils du polémiste, est abattu d’une balle en pleine tête, probablement par la police via les anarchistes qui, à l’époque comme aujourd’hui, effectuent les basses besognes du régime. Il faudra attendre 1925 pour que Maurras tance le ministre de l’Intérieur d’alors : « Monsieur Abraham Schrameck , comme vous vous préparez à livrer un grand peuple au couteau et aux balles de vos complices, voici les réponses promises. Nous répondons que nous vous tuerons comme un chien…». Les assassinats cessèrent mystérieusement… Gravement, les Cadets regardèrent leur élève-officier. Ce dernier continua sa harangue, pensant à l’homme qu’ils avaient enterré, celui qui, à l’agonie, continuait encore à insuffler le courage à ces apprentis soldats devenus partisans malgré eux : « Si on craque maintenant, ça veut dire… Ça veut dire qu’on ne vaut pas mieux que ceux d’en face ! Ça veut dire que nos parents se sont sacrifiés pour rien, que nous sommes indignes du nom que l’on porte, indignes du sang qui coule dans nos veines, indignes même de notre race. Cela voudrait dire que nous sommes nous aussi devenus des dégénérés ! Mieux vaut la mort que la honte ! Nous n’avons qu’une chose à faire, une mission à accomplir : rentrer chez nous ! ».
Un à un, les soldats se relevèrent. Debout les morts ! Les traits tirés, les yeux cernés, ils reprirent leurs fusil-mitrailleurs et se regroupèrent. Le ventre vide, les jambes flageolantes, ils comptaient sortir de la forêt, quitter la verte protection pour atteindre cette ferme pour se nourrir. L’élève-tambour Kuntz prit ses baguettes et commença à faire les faire rouler sur son instrument. Pour se donner du courage, les Cadets se mirent à chanter La Catholique : « Depuis 1900 ans et plus, la France est la France de Jésus. Depuis les Francs et les Gaulois, la France a toujours dit « je crois ! ». Hardis contre la clique sans patrie et sans Dieu, pour la Foi catholique Français debout car Dieu le veut, chantons la Catholique, vive la France et Dieu ! ». L’eau froide de la rivière les revigora, lava leurs blessures, rinça leurs larmes. Ils arrivèrent sur l’autre rive, trempés, devant hisser sur la berge les plus atteints. La ferme se détachait à l’horizon. De la lumière à la fenêtre de la cuisine montrait qu’elle était habitée. II ne devait rester que 500 mètres à marcher. Le dernier objectif atteignable pour le moment. Le moment de rassembler les dernières parcelles d’énergie qui restaient. Si celle-ci était mesurée comme l’essence d’une voiture, les témoins orange seraient allumés depuis longtemps. Pour tenir, il fallait faire le vide dans sa tête. Ne plus penser aux camarades tombés, aux blessures, à la faim, à la fatigue. Et le meilleur moyen de se concentrer sur l’essentiel, rallier la ferme, était encore de chanter… « Sans crainte risquons notre peau pour la Croix et pour le drapeau. Autour d’eux-ci nous nous serrons, par ces deux signes nous vaincrons. Hardis contre la clique sans patrie et sans Dieu, pour la Foi catholique Français debout car Dieu le veut, chantons la Catholique, vive la France et Dieu ! ». Le temps qu’ils atteignirent la cour de la bâtisse le fermier était là avec sa femme. Ils regardaient arriver vers eux ce qui avait été jadis une armée. Jadis, car, à ce moment précis, il n’y avait plus de 4e commando de chasse. Il n’y avait plus que 11 gamins affamés. « Mon Dieu, oh mon Dieu ! mais ce sont des enfants ! » s’exclama la fermière. Le fermier tira longuement sur sa Gauloise : « laissez-moi deviner : vous êtes une unité de pointe coupée de ses bases qui cherche à manger et à bivouaquer pour cette nuit. Vrai ? Allez, entrez, vous n’avez pas l’air de pillards… » Quelques instants plus tard, la nourriture tant attendue fit son apparition sur la table. Un Cadet, plus affamé que les autres, tendit sa main vers la corbeille de pain mais le regard version « canon de fusil » de son chef le fit reculer. « La faim ne justifie pas le relâchement. On arrive à ce qu’on fait parce qu’on est ce que l’on est. Que ceux qui peuvent encore se mettre debout se lèvent, les autres ont une dérogation. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-Il. Mon Dieu bénissez-nous, nous et la nourriture que nous allons prendre, et faites-nous la grâce d’en bien user pour votre gloire et pour notre Salut… Maintenant… A table ! »
Après le repas, Fernand déploya une grande carte de la région et pointa sa ferme du doigt : « Vous êtes à 20 kilomètres derrière vos lignes, à 26 kilomètres de la ville la plus proche de votre zone… ». Thomas l’interrompit : «… de notre patrie ». Le paysan haussa les épaules : « de votre patrie si vous voulez, même si à mes yeux vous êtes aussi Français que nous. Vu l’état de vos gamins, il vous faudra bien 8 heures de marche pour y arriver. Partir maintenant serait de la folie : les commandos démocratiques risquent de patrouiller encore et vous serez trop faibles pour vous défendre. Vous allez prendre un paquet d’heures de repos, soigner les plus touchés, manger, et cette nuit, vous traverserez le no man’s land. Demain soir, vous serez chez papa-maman. Surtout le tout petit. Vous mobilisez les mioches ? Il a quel âge 9 ? 10 ans ? ». Le chef de patrouille jeta vers le petit musicien militaire un regard à la fois courroucé, attendri et admiratif : « C’est un élève-tambour, normalement, il n’aurait jamais dû être avec nous. Mais voilà, il voulait faire la guerre avec les grands. C’est amusant la guerre quand on a 9 ans. Alors il s’est caché dans le camion, on l’a récupéré trop tard : on était déjà engagé sous le feu de l’ennemi. Quand il a vu mourir sous nos yeux notre Compol après plusieurs heures d’agonie, il a compris. Il va pouvoir raconter à ses amis que la guerre, c’est tout sauf un jeu ! Mais je dois admettre qu’il ne s’est pas plaint ! Il a marché avec les grands, s’est battu aux côtés des grands, a souffert avec les grands. Comme nous, il a connu la faim, le froid, la douleur, la mort, la fraternité d’armes. Et des petits bonhommes comme lui, on en a plein les pensionnats… ». En finissant sa phrase, le sergent-chef Nedellec regardait songeur vers la fenêtre. Un long silence dans la pièce. Le couple de paysans méditait la dernière phrase. Le mari murmura deux mots à l’oreille de sa femme. Celle-ci tirait nerveusement sur l’ourlet de sa robe : « Non, non, Fernand, c’est à ton frère ! ». Il hocha négativement de la tête : « Mon frère et ma belle-sœur, ils n’ont plus appelé depuis six mois… Je n’ai plus de frère ! » Gravement, le campagnard fixa le jeune Cadet droit dans les yeux : « Vous le pensez vraiment ? ». Nedellec lui rendit son regard, déterminé comme jamais : « Affirmatif. Nous sommes debout. Parfois, quand j’étais jeune, je ne comprenais pas le pourquoi de cette éducation si différente que nous recevions. Maintenant, j’ai compris. Sans cette éducation, nous n’aurions pas perdu sept des nôtres mais la totalité de l’effectif. Et ceux qui sont morts ne sont pas morts pour rien, pas comme en 1914-18. Vous savez que Vianney, mon meilleur ami, est mort ? C’est moi qui lui ait fermé les yeux, quand cette balle qu’il a pris dans le dos l’a vidé de son sang. Je l’ai enterré et ai planté une croix sur sa tombe. Quand je reviendrai, je dirai à sa mère et à ses sœurs que c’est la graine sacrifiée qui permet au blé de lever. J’avais 18 Cadets sous mes ordres, je n’en ai plus que 11. Mais quand on va rentrer chez nous, je verrai nos villages, nos écoles, nos églises, nos usines, notre pays né de notre sueur et de notre sang et je me dirai, c’est nos larmes et nos morts qui ont fait que cela est encore debout. Et chaque feuille d’arbre, chaque motte de terre, chaque œuvre née de la main de l’homme me dira : c’est grâce à eux que nous sommes là. Nous avons perdu beaucoup des nôtres, mais nous savons que c’est pour une bonne raison. L’ennemi nous laisse le choix : mourir comme des hommes ou crever comme des bêtes. Nous avons relevé le défi… » Le paysan hocha la tête : « Vous n’êtes peut-être pas au courant, mais je vais vous l’apprendre. Malgré les démentis du gouvernement, les informations de votre régime ont été confirmées par la presse étrangère. Vous avez perdu votre 638e régiment de ligne, mais en contre-partie, vous avez anéanti la totalité de la 2e division blindée et la 27e division alpine, c’est-à-dire le peu d’unités en état de combattre qui restait à la République, vous avez mis hors de combat quelque chose comme 14 régiments. Enfin, 15 si on compte le 5e régiment qui s’est mutiné et qui maraude dans le coin… Justement, à ce propos… » Le paysan se leva : « Je vais vous confier nos biens les plus précieux. Josette, la clé de la trappe et la boîte à bijoux. Inutile de pleurer, ma décision est prise…Tu sais très bien comment ça va finir ici ». La femme s’absenta puis revint avec les objets demandés. Pendant ce temps, le paysan avait été cherché une lampe-torche et la tendit à l’élève-officier. Il ouvrit la trappe qui menait à une sorte de cave où il devait jadis cacher des surplus non déclarés ou tout simplement son meilleur vin et invita le jeune homme à descendre. « Mes biens les plus précieux… » se demanda Thomas, « qu’avait-il voulu dire ? Des lingots d’or cachés sous le matelas ? Des armes genre fusil de chasse ? Peut-être même une vieille AA-52 ramenée de la guerre d’Algérie ou des grenades américaines du pépé ancien FFI, allez savoir… Quelque chose de précieux qui appartenait à son frère ». Il alluma la torche et descendit les deux premières marches. Le faisceau de lumière balaya le sol de terre battue, rencontra deux matelas posés sur le sol. Il descendit deux marches de plus, faisant aller et venir la torche. Pas d’armes, mais deux matelas… Des billets dans deux vieux matelas cachés dans la cave, c’est sûrement cela. Tout le monde sait que les paysans cachent leurs économies dans le matelas. C’est alors qu’il comprit… Dans la lumière, deux ombres se terraient au fond, tout au fond, comme si elles ne voulaient faire qu’une avec le mur. Il entendit du salon la voix du paysan : « Vous pouvez sortir, vous ne risquez rien ». Un frisson parcourut l’échine du sergent-chef. Il avait bien vu… Blotties l’une contre l’autre, une adolescente de 15 ans et une fillette de 8. «Mes nièces. Elles viennent de la banlieue de Rouen. Mon frère me les avait confiées avant de disparaître. Ça devenait malsain pour elles d’être blondinettes. Pas besoin de vous expliquer, vos journaux en parlent assez.. Mais ici, depuis qu’on a le 5e qui s’est mutiné… il y a pas mal de filles du coin qui ont disparu, si vous voyez ce que je veux dire… Ça fait une semaine qu’on les cache ici… mais je ne suis pas tranquille, si jamais ils savent qu’il y a de la chair fraîche ici, ils peuvent venir à tout moment. Emmenez-les avec vous. Là-bas, elles auront un avenir. Amandine, Camille, vous allez partir cette nuit avec eux ». Ils remontèrent tous trois dans le salon. Josette, la femme du fermier, avait ouvert la boîte à bijoux. Fernand fit un rapide inventaire : «l’alliance de leur mère et de leur grand-mère, le chapelet en ivoire de la mémé, les napoléons que mon frère et moi avons reçus pour notre première communion, les médailles de baptême des petites. Prenez ça avec vous. J’ai comme l’impression que quand vous reviendrez ici, vous ne trouverez plus personne. Les délateurs, il y en a partout et ce sont généralement des voisins. Un gars comme le Lucas, par exemple. ».
Une heure plus tard, la guerre semblait avoir quitté la ferme. Le petit Gonzague Kuntz avait laissé son tambour. Il courrait à perdre haleine dans la cour de la ferme, jouant avec Camille, donnant avec elle du pain aux canards, la poussant sur la balançoire. Regardant la scène, Thomas Nedellec murmurait : « La capacité de résistance des enfants me surprendra toujours. Mais où trouve-t-il encore la force d’aller jouer dehors avec votre nièce ? ». Le fermier hocha la tête : « Ce sont des coriaces chez vous ! Le petit, il va coucher dans la chambre avec la petite, on va lui monter un matelas, à cet âge, ça ne peut pas être malhonnête. On va mettre les plus blessés là-haut, dans la chambre d’amis. Les autres, dans le salon, je suppose que vous allez faire des tours de garde. Moi j’ai pas de route à faire demain, alors je vais veiller pour vous. Dormez les jeunes... ». Dans la chambre du haut, pendant toute la soirée, Gonzague cessa d’être un élève-tambour pour redevenir un petit garçon. Pendant que Josette, la fermière, préparait les maigres bagages que les deux filles emporteraient sur la route de l’exil, les deux enfants étaient assis en tailleur sur le sol de la chambre et lisaient des bandes-dessinées : « Il y a des Tintin dans ton pays ? » « Bah bien sûr, on les a tous à la maison. Même que Tintin a vraiment existé et que il y a son portrait partout dans les écoles et dans la rue et il a une grande statue au Bunker Palace qu’on va fleurir avec l’école le 31 mars. Les filles, elles y vont pour la Saint Léon, le 11 avril… Tu iras cette année avec ma petite sœur Domitille, elle va avoir bientôt 8 ans et elle va être drôlement contente d’avoir une petite sœur adoptive de son âge, mes autres sœurs sont bien plus âgées ». Le réveil fut tôt, bien avant l’aube, et pénible. Camille et Amandine, peu habituées aux levers matinaux dormaient encore debout. Un Cadet avec des poches de kangourous sous les paupières buta dans une des chaises du salon en maugréant : « Je suis tellement fatigué que j’ai les yeux qui vont sortir de leurs orbites. C’est le 4ecommando de zombies ». Ils marchèrent pendant des heures, soutenant les plus blessés d’entre eux. Ils ne rencontrèrent personne jusqu’au premier village.
Les cloches de l’église sonnaient à la volée, on était dimanche matin. Les gens sortaient de l’office dominical quand les rescapés débouchèrent sur la place du village. L’élève-tambour Kuntz frappait comme un sourd La Marche des Roys sur son instrument, le regard totalement absent, comme une mécanique. Derrière lui, le chef de patrouille Nedellec marchait en boitant, son chèche imbibé de sang tenant son bras en écharpe. Puis vint un blond râblé, Hercule en miniature, qui portait sur son dos un cadet aux cheveux bruns dont la toux laissait échapper le long de la commissure de ses lèvres un mélange de bave et de sang. Les autres Cadets étaient tous blessés, qui à la jambe, qui à la tête, qui au torse. Mais leurs regards montraient que ce n’était pas une armée Bourbaki en déroute. Ils étaient les derniers survivants de leur unité, exact, mais ils étaient victorieux, du moins, ils avaient accompli leur mission. Sur le parvis de l’Eglise, les gens incrédules les regardaient comme des spectres revenus de la mort. Le prêtre en soutane les bénit. Personne ne parlait, les conversations s’étaient tues. La dernière patrouille croisa une unité qui allait monter au combat, son porte-drapeau et ses officiers en tête. L’énorme étendard rouge et blanc, frappé de l’aigle noir, indiquait que c’étaient les volontaires autrichiens du 13e de Légion, une compagnie au moins, la Andreas Hoffer, la Der Kanzler ou la Ostmark, peu importait. Le Compol de l’unité fit arrêter ses hommes : « Alignement. Demi-tour droite. A genoux les hommes ! » Et tous les légionnaires, élite d’entre l’élite, enlevèrent leur casque et mirent un genou à terre au passage des petits rescapés. Hommage des anciens aux nouveaux.
A l’autre bout de la place du village, face à l’église, de l’autre côté du monument aux morts, la Prestige de l’Imperator. Ce dernier était venu tout exprès du Bunker Palace pour accueillir les Cadets. Thomas s’avança : « 4e commando de chasse, chef de patrouille Nedellec au rapport, Seigneur Imperator. Chef de Commando de Précinet de la Grange, tué à l’ennemi, chef de section Gauthier, tué à l’ennemi, chef de section Wastreloos tué à l’ennemi, chef de section Bazinguet tué à l’ennemi, chef de section Martin, tué à l’ennemi, commissaire politique Duval, tué à l’ennemi. » Il se lâcha et éclata en larmes :. « Effectifs de départ : 150 Cadets , 5 officiers, 16 sous-officiers. Effectifs actuel : 10 Cadets, 1 sous-officier, 2 civils »… Un long silence. L’Imperator lui mit la main sur l’épaule et annonça : « Par décret impérial, le 4e commando de chasse devient la 4e section de la Jeune Garde, rattachée désormais à la Garde Noire. Le chef de patrouille Nedellec est promu au grade de chef de section. Les Cadets rescapés sont promus au grade de chefs de patrouille. Vous serez également tous décorés de la Croix de guerre avec chevron des blessés. Mais ce n’est pas tout… » Le petit Hercule blond qui portait sur son épaule son camarade blessé fut soulagé de son fardeau par des membres de l’antenne médicale dépêchée d’urgence à leur rencontre. L’Imperator le regardait, bouche bée. Le Cadet s’approcha, effectua un salut militaire en bonne et due forme puis lâchant son arme, courut vers lui. L’Imperator ouvrir en grand ses bras et le souleva de terre. Le petit, exténué, cria : « On l’a fait, on l’a fait papa, on est revenu ! » A l’autre bout du pays, le métal précieux en fusion coulait lentement dans le moule. Commande officielle et urgente du Ministère de la Jeunesse : 18 « Médailles d’honneur en or des Cadets Impériaux, avec palmes ». La plus précieuse des décorations militaires pour la Jeunesse Impériale. 18 Médailles d’Honneur, du jamais vu. 18 Médailles d’Honneur, dont 7 à titre posthume…