Friday, December 09, 2005

Chapitre 80 (dernier) - Dix ans après...

Les jours, les mois, les années ont passé… Cela fait maintenant dix ans que l’Imperator a étendu à la France entière l’Ordre Nouveau tradilandais. A la France entière et à une bonne partie de l’Europe d’ailleurs. La Belgique a cessé d’exister : la Flandre est un état satellite de la France dirigé par un régime rexiste allié, la Wallonie a été purement et simplement annexée. Le pays a été totalement réorganisé, les jours fériés ont été modifiés, les départements et les régions supprimés et remplacés par des « provinces ». L’épuration est achevée depuis 4 ans, les derniers camps de prisonniers ont été fermés et le pays totalement repris en main. De ce qui était jadis l’ordre ancien, il ne reste plus rien. Les anciennes valeurs, les vieilles références, les modèles surannés n’ont plus cours. L’école, les médiats, la culture diffusent un nouveau modèle de société. Et comme sous l’ancien régime, à 95 %, les gens y adhèrent plus par passivité que par conviction.

Nous étions le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. L’immense tour de l’hôtel Concorde-Lafayette recevait les délégations de journalistes et de personnalités étrangères venues constater le nouveau visage de la France après 10 ans d’ordre nouveau. Voulant, selon ses propos privés « donner une gifle aux pisse-copies du monde entier », l’Imperator avait voulu qu’une ambiance 1930 soit diffusée dans l’hôtel, rêvant de faire de ces jeux l’équivalent de « Berlin 1936 ». Un orchestre de jazz jouait un vieil air de l’époque, le tout-Paris s’était habillé comme dans les Années Folles : femmes aux longues robes couleur crème, colliers de perles, fume-cigarettes pour celles qui fumaient, chapeau cloche ; hommes en tenue de gala avec haut-de-forme et gants blancs. On y buvait les cocktails de l’époque et les quotidiens avait repris pour la journée la mise en page et l’aspect des journaux de l’époque. Seuls les membres de la police politique n’avaient pas eu besoin de changer leur gabardine de cuir noir : elle ressemblait tellement à celle de la Gestapo… Ces derniers se faisaient d’ailleurs de plus en plus présents, car après la normalisation du pays, les troubles internationaux avaient amené une réorganisation totale de l’armée et de la police qui devaient partager leurs prérogatives avec le Parti. Ce dernier avait sa police, le Commissariat Politique, et son armée, la Garde Noire, véritable garde prétorienne portée en temps de paix à 38 régiments venus de toute l’Europe sous le commandement du maréchal Pacq. Le Saint-Empire est en paix depuis seulement 20 mois et la fin de la campagne de Russie, enfin plus exactement de l’intervention de ce dernier dans la guerre civile russe. Le Saint-Empire s’étend maintenant de Lisbonne à Vladivostok. Les mauvaises langues l’appellent « Eurasia ». Cette Eurasia est, comme il se doit, en rivalité avec « l’Ocenia » et « l’Estasia ». Mais, à la différence du livre prophétique d’Orwell, les régimes politiques étaient différents et se regardaient tous trois en chien de fusil. La guerre pouvait éclater n’importe où : en Indonésie, en Asie Centrale, en Afrique, en Amérique du Sud. Et la guerre froide pouvait se transformer n’importe quand en guerre chaude. Ce n’était pas une « course aux armements », non, on «réorganisait », on «complétait », on « mettait aux normes »…

Le porteur de la flamme devait venir de Neuilly, traverser l’avenue du Maréchal Pétain (anciennement de Gaulle), franchir la Porte Maillot et remonter vers les Champs-Élysées via l’avenue de la Grande Armée. Plus de 400.000 Parisiens se massaient le long du passage de celle-ci, derrière les grilles et le cordon de la Milice. Pour amener le symbole des jeux à son ultime destination, le ministère des Sports avait désigné le héros de l’Olympiade de New-York, Ghislain Courrèges, 29 ans, capitaine dans la Garde Noire, médaille d’or de décathlon et du saut à la perche. Il reçut le relais à la limite entre les deux villes et s’avança à petites foulées vers ce qui était redevenu la plus belle avenue du monde sous une haie de bras tendus et escorté de deux motos du peloton motorisé de la Garde. Place de la Concorde, Rue Royale, Place de la Madeleine, Grands Boulevards, Avenue de la Madeleine, Avenue des Capucines, Boulevard des Italiens, Rue Drouot… Les quartiers chics de Paris avaient retrouvé leur splendeur d’avant les années soixante et la politique familiale du gouvernement avait permis aux familles avec plus de deux enfants de revenir dans ces quartiers d’où la spéculation immobilière des « bobos » les avaient chassés…

Rue Lafayette, Rue du Faubourg Saint-Denis, Rue Strasbourg Saint-Denis, Rue Philippe Henriot (anciennement Marx Dormoy), Rue de la Chapelle, Avenue de la Porte de la Chapelle, Avenue Jacques Doriot (anciennement Avenue du Président Wilson). La flamme remontait vers ce qui était jadis les quartiers cosmopolites de la capitale, enfin, cosmopolites, façon de parler : il n’y restait plus beaucoup de blancs à partir de l’an 2001… Les accords passés entre Paris et les diverses capitales du Tiers-monde avaient permis le rapatriement des colonies de peuplement dans leurs nations d’origine. Les splendides immeubles haussmaniens récupérés dans un état de crasse et d’insalubrité innommable furent rénovés pour permettre aux familles chassés de Paris avant-guerre d’y revenir. Le XVIIIe arrondissement fut ainsi rapidement celui des familles nombreuses, et les XIXe et XXe redevinrent les quartiers populaires des titis et des poulbots. Les petits commerces y avaient fait un retour en force depuis la nationalisation des réseaux de distribution et la disparition progressive des supermarchés et des hypermarchés, remplacés par des coopératives. Les tribunaux de l’épuration économique avaient confisqué les biens de toutes les grandes chaînes, accusées de collaboration, relançant ainsi le petit commerce et les emplois qui allaient avec mais également libérant la paysannerie du pillage de sa production par les requins des centrales d’achat. De toutes les classes sociales, c’étaient l’atelier et la boutique qui soutenaient le mieux le régime. Les campagnes et la classe ouvrière ayant vu une amélioration notable de leur sort, s’étaient également attachées au nouveau régime. Plus réticente, la bourgeoisie faisait profil bas, la peur d’une confiscation des biens les rendant fort amènes….

Le porteur de flamme fit son entrée triomphale au Stade de France sous une pluie de fleurs lancées par les enfants des petites classes des deux écoles d’élite de garçons, Saint-Michel et Saint-Bénilde et par les deux écoles de filles, Saint-Anne-de-la-Providence et la Maison d’Education de la Légion d’Honneur qui avait regagné une ville de Saint-Denis qui avait perdu 60 % de sa population d’avant-guerre et dont l’artère principale s’appelait désormais « avenue Jacques Doriot ». Devant la vasque olympique, il plaça la flamme dans sa main gauche et du bras droit, effectua le salut tradilandais (ou olympique, ou fasciste, ou romain, selon vos goûts) devant les caméras du monde entier. Puis il plaça la torche dans son réceptacle et les Jeux furent déclarés ouverts. L’Honorable Monsieur Malard, Ministre des Sports, avait assuré l’Imperator de la possibilité de réussir ce que personne n’avait réussi depuis l’Allemagne en 1936 : battre les deux géants continentaux, la Russie et les Etats-Unis. Les délégations firent leur apparitions, avec en tête les quatre athlètes, un peu esseulés, de l’équipe olympique d’Afghanistan. Certaines nations obtinrent un franc succès en défilant bras tendu, salut olympique peut-être, hommage au régime sûrement. Ainsi, c’est sous les vivats que l’Afrique Occidentale Francophone, l’Afrique Equatoriale Francophone, l’Allemagne, l’Argentine, la Biélorussie, la Croatie, l’Espagne, la Flandre, l’Italie, la Lettonie et quelques autres firent le tour du stade. Mais l’apparition de l’équipe de France suscita une explosion de joie : le drapeau français était tenu par la benjamine de l’équipe, Marie-Hermeline Vautrin, 15 ans ½, équipe olympique de gymnastique, le panneau « France » par le doyen, Pierre-Antoine Kerguizen, 44 ans, équipe olympique de tir… Les 80.000 spectateurs du Stade de France debout bras tendus saluèrent la délégation française. Dans la nuit d’août, sous la lumière des projecteurs, un cri gronda, résonna, explosa, repris par 80.000 poitrines : « AVE ! AVE ! ». Tout un peuple communiait avec son chef dans une fierté retrouvée. Un vent léger faisait danser les torches dans le stade illuminé et gonfler les chemises des jeunesses impériales. Le drapeau olympique et ceux de toutes les nations du globe claquaient à l’unisson, en compagnie de l’ancien drapeau tradilandais, devenu non seulement drapeau du Parti mais également celui du Saint-Empire.

Retour au Concorde Lafayette. Sous la lampe à la lumière feutrée par un abat-jour fuchsia, un journaliste du New York Times écrivait son reportage, un whisky et un cigare posé près de lui, à peine perturbé par le piano qui jouait Berlin Melody 1936 de Vladimir Cosma. Bien que muni d’un ordinateur portable, c’est à la plume, sur un bloc-notre blanc, qu’il écrivait ses impressions. Celle-ci glissait sur le papier, il était inspiré et n’avait pas à regarder le décor pour savoir que tout le ramenait justement à cette fameuse année 1936. « La guerre est inévitable. La France que nous avons sous les yeux n’est plus celle que nous aimions, la France métisse et cosmopolite, la France des Droits de l’Homme et de la Révolution de 1789. Nous voyons resurgir sous nos yeux une France, une Europe que nous espérions morte. Une France arrogante, qui vient nous défier, nous menacer sur notre propre territoire en soutenant ostensiblement les mouvements séditieux qui espèrent refaire dans les Etats du nord-ouest un horrible Tradiland américain. Cette jeunesse fait peur, avec son culte de la pureté, du travail, de l’abnégation, son refus du système des valeurs, de liberté, de démocratie qu’il est nécessaire de faire partager au monde entier. Le Saint-Empire a recolonisé l’Afrique, mis la main sur les formidables richesses de la Russie, nous a provoqués en dissolvant l’ONU par un retrait massif et en se retirant unilatéralement du GATT, du FMI et de la banque mondiale. Même l’embargo que nous avons fait contre l’Europe n’a rien donné. Il faut écraser le serpent dans son nid dès maintenant sinon, nous allons au devant d’une catastrophe. Comme nous avons libéré d’eux-mêmes l’Allemagne, le Japon, l’Irak, la Serbie et quelques autres états sans importance, nous devons libérer la France ». L’article fut lu et diversement commenté au Bunker Palace.
Dix autres années passèrent. Entre le Saint-Empire et les Etats-Unis, les tensions allaient crescendo. La moindre étincelle pouvait mettre le feu aux poudres et transformer la guerre froide en guerre chaude. Au Bunker-Palace, l’Imperator avait convoqué l’état-major interarmes. Il avait revêtu pour l’occasion son uniforme de Grand Amiral de la Flotte. A ses côtés, les maréchaux Dieuze, Pacq et Calmier sortaient de leurs dossiers leurs notes de synthèse. Dans l’assemblée, on remarquait les uniformes vert de gris de la Wehrmacht, mais aussi des armées italienne, espagnole, polonaise, russe, représentées chacune par les chefs d’état-major. « Messieurs, parlons peu mais bien. L’heure est venue d’en finir définitivement avec les Etats-Unis. Cette année, le 4 juillet tombe un vendredi, l’armée américaine sera en week-end prolongé et à effectifs réduits. L’occasion est unique pour lancer une frappe préventive dans l’antre du matérialisme. Notre cinquième colonne va neutraliser les radars et les relais satellites pendant deux heures, ce sera largement suffisant pour détruire un maximum de leur infrastructure. Profitant de leur désorganisation, nous envahirons les Etats-Unis par tous les côtés, notre réserve s’occupant du cas de la Grande-Bretagne. Nous estimons à six mois la durée de la campagne d’Amérique. Messieurs les officiers, chers Camarades, je lance le Plan Rouge ». 5 juillet, 3 heures du matin… « Torpedo… los !!! » Les trois torpilles du sous-marin allemand Heinrich Bleichrodt atteignirent leur but et frappèrent de plein fouet le porte-avions américain USS Independance. Panique dans les rues de New York, les gens fuyaient dans les rues en hurlant, cherchant un endroit où se cacher, se protéger de la pluie de verre et de ferraille tordue qui tombaient des orgueilleux buildings qui s’écroulaient les uns après les autres. Au large, les cuirassés lourds mixtes (canons et missiles) Richelieu, Jean Bart, Conte di Cavour, Tirpitz et Admiral Koltchak tiraient au canon de 480 sur la Babylone des temps modernes. A l’autre bout du pays, pleure, pleure San Francisco… Le Golden Gate, symbole de la ville californienne, repose au fond du détroit du même nom, détruit par l’aviation embarquée chinoise. En Alaska, un troupeau de rennes fuyait en bramant vers l’ouest, dérangé dans son habitude par des hélicoptères et des hovertanks peints aux couleurs de la Sainte Russie : la 11e armée russe avait franchi le détroit de Behring… Réveillé en sursaut, le Président des Etats-Unis ne pouvait que constater les dégâts : son pays était attaqué par l’ Alaska, par le Mexique, par la Floride, par le Québec… Paralysées par la destruction de ces centres vitaux de communication, les divisions de l’US Army prenaient du retard dans leur redéploiement vers les nouvelles zones de front. La Troisième Guerre Mondiale venait d’éclater…

Chapitre 73 - Paris sera toujours Paris

Un vieux poste de radio fatigué par de longs mois de guerre crachotait L’Hymne à l’amour d’Edith Piaf. Son propriétaire, un marchand de journaux, essayait de se familiariser avec les nouveaux titres : Le Monde était redevenu Le Temps, Libération avait changé son nom en Libération nationale, L’Humanité était devenu Le Cri du Peuple, La Croix, Le Figaro et Valeurs Actuelles avaient gardé leur nom mais changé de direction et de ligne éditoriale… Tous titraient d’ailleurs la même chose en ce 16 août : AVE IMPERATOR ! Quittant son quartier général des Invalides, l’Imperator fit sa première visite dans Paris libéré. Les combats des quatre précédents jours avaient laissé des traces, aussi bien dans les pierres que dans les cœurs : l’Hôtel de Ville, l’Assemblée Nationale, le Sénat, la plupart des ministères ont été sévèrement touchés par les bombardements, les combats ou les incendies volontairement allumés par les archéo-français en déroute… Si le 15 août on parlait libération, le 16, on parlait déjà épuration. Elle avait saisi à la gorge la capitale dès les derniers coups de feu tirés, quant, aux “ pattes de col ocre ” des unités d’élite de l’armée régulière, succédèrent les “ pattes de col bleu ” de la police quand ce n’était pas les “ pattes de col noires ” des sections spéciales. La voiture personnelle du nouveau chef d’état quitta les Invalides pour une tournée d’inspection visant à voir la remise en place des administrations. Les magasins fermés avaient été ouverts par l’armée qui assurait la distribution d’eau, de nourriture et de produits de première nécessité. Des gamins des organisations de jeunesse collaient sur les murs des affiches annonçant l’instauration de la loi martiale et l’ordre de réquisition de tous les fonctionnaires sous peine de révocation. Révocation qui frappa sur le champ tous les élus, remplacés par des membres du parti ayant vécu dans le quartier et formés lors de la guerre à la gestion municipale. De temps en temps, un mouvement de foule laissait entrevoir que les consignes données par l’Imperator à son chef de la police politique allaient être respectées. Le régime raflait, c’est un fait. Mais malheur au résistant de la 25e heure qui voulait se dédouaner en faisant du zèle : il s’apercevait vite fait que la police militaire était justement militaire… Au niveau de la place Saint-Michel, les hommes de la 1ère division qui avaient pris Paris par le front sud maintenaient l’ordre de manière plutôt virile, à grands coups de crosses de kalachnikov… Baissant la vitre de sa Prestige, l’Imperator héla un sergent-chef. Ses pattes de col vert-pomme et l’aspect ancien de son treillis indiquait un réserviste. Il se présenta : “ Ave Imperator ! Sergent-chef Latreille, Garde Nationale de la Marche, contremaître dans le civil ”. Sa patrouille tenait en respect de leur baïonnette un groupe de femmes d’un certain âge, le genre de poissardes charriées par toutes les révolutions et qui essayaient de faire oublier par des excès de zèle leur collaboration passée. Au milieu, une gamine terrorisée, le tee-shirt déchiré, les cheveux à moitié tondus et une pancarte “ vengeresse ” autour du cou : “ pute à bougnoules ”. L’Imperator hocha la tête : “ amenez la fille au lycée pour catégorie 4 . Quant aux harpies… envoyez-les au centre de détention de l’Institut Dentaire. Ce sont les “pattes de col noires ” du 36e disciplinaire. Elles ne vont pas comprendre leur douleur… ”. A midi, l’Imperator déjeunait rue de Rivoli avec les nouvelles instances dirigeantes que les Parisiens allaient apprendre à connaître. Le ministre de la Justice et son beau-frère, le chef d’état-major des armées, le nouveau ministre de l’Intérieur qui avait commencé humble centurion du service d’ordre du premier noyau de résistance, planifiait la mise à l’écart des collabos de l’ancien régime et ce, à tous les échelons. Des techniciens de l’armée rebelle, formés à ce jour depuis 10 ans, avaient remis en marche immédiatement les chaînes de télévision, les centrales de téléphone et les centrales électriques, formés clandestinement par des techniciens acquis à la cause… A 14 heures, visite du secteur détenu par les 4e et 5e divisions. Par la fenêtre de sa voiture, l’Imperator voyait l’épuration déferler sur Paris. Le 4e arrondissement était totalement quadrillé : les milices ethnico-confessionelles, pourtant équipées comme une armée depuis 1986, n’avaient pas pu résister longtemps. Dès les premières résistances, quelques roquettes de Mi-24 et des tirs tendus des (plus que) vénérables T-72 de la Garde Nationale d’Auvergne avaient fait comprendre que cela ne servirait à rien de rejouer Massada. Les milices avaient été désarmées et on négociait le départ de toute la communauté vers les Etats-Unis, moyennant la tête des 500 plus compromis dans l’ordre ancien… Le 9e lui aussi voyait se lever l’ordre nouveau. La Prestige remonta le boulevard Lafayette. A hauteur de la rue Cadet, elle s’arrêta. Le bunker du Grand Orient avait daigné finir de brûler et, divine providence, la salle des archives était à peu près intacte. Touché par un missile afin d’y faire cesser toute résistance, il avait été investi par deux commandos héliportés et un commando de sapeurs-pompiers rattaché au génie militaire renforcé par leurs collègues de la rue Blanche. L’Imperator vit des jeunes en uniforme et les gabardines noires de la police politique charger des caisses entières de documents internes direction le service des activités anti-françaises installé non loin de là… Plus loin, les demoiselles des Guides du parti en chemisette bleu-ciel étaient rassemblées autour d’un feu improvisé où brûlait la totalité des revues pornographiques raflées dans les librairies du quartier. Au sommet du Sacré Cœur, que l’Imperator avait gravi il y a si longtemps dans la tenue de marche de l’humble pèlerin, le nouveau maître de la France regardait son domaine. On voyait encore la fumée montant de quelques incendies et l’on pouvait entendre le bruit des hélicoptères volant à basse altitude. En tendant l’oreille, il pouvait même percevoir le bruit des chenilles des Leclerc “ archéo-français ” rescapés de la campagne d’Ile-de-France et qui, additionnés à l’hétéroclite force blindée néo-française, allait donner naissance au futur Corps de Bataille dont le quartier-général prévu était Metz. Du coffre de la Prestige, il avait sorti une cage contenant deux colombes, un mâle et une femelle. Il prit les deux columbidés et les lança l’un après l’autre dans le ciel. Les deux colombes volèrent au-dessus de la capitale, planaient, tournoyaient, puis repartaient de plus belle à tire d’aile. La France nouvelle allait connaître la paix

Chapitre 72 - Paris brûle-t-il ?

L’armée tradilandaise était prête pour l’offensive finale. L’étau qui enserrait Paris était maintenant totalement hermétique, à la grande satisfaction de l’Imperator qui regardait la carte d’Ile-de-France, surchargée de flèches de couleur, marquant l’évolution fulgurante des troupes de Tradiland qui avaient quitté leurs casernes deux mois plus tôt… Cinq divisions, 60.000 hommes, soutenus par une aviation embryonnaire mais efficace et une marine fluviale, avaient culbuté les milices mercenaires de l’armée archéo-française, ou du moins ce qu’il en restait.. L’avance devait être progressive : elle dépassa les espérances les plus folles d’un Imperator déjà naturellement optimiste après l’offensive du printemps qui avait amené à la libération du Forez, de la Savoie, du Comtat Venassin et du Dauphiné à l’exception de Grenoble assiégée… Dans le ciel, les MiG-31 et les Mirage-2000 des rebelles ne rencontrèrent aucune opposition. A croire que l’armée de l’air s’était volatilisée. L’offensive finale sur Paris commença le matin du 10 août. Les Parisiens virent des dizaines de corolles blanches descendre dans l’aube rose du petit matin : les parachutistes du 1er commando (les “ Bérets amarante ”) sautaient sur le Champ de Mars… Aux abords des ponts de la grande boucle de la Seine en banlieue ouest, le 2e commando (les “ Bérets verts ”) tenaient en respect avec leurs kalachnikovs made in China les prisonniers qu’ils avaient fait lors de la capture des points de passage, attendant de les remettre aux éléments avancés de la 2e division. Celle-ci avançait par à-coups, au fur et à mesure de la prise des ponts… Bientôt, dans les beaux quartiers de Paris encore préservés, la même scène se répéta des dizaines de fois : de jeunes militaires au béret noir (3e commando) accompagnait des hommes en gabardine de cuir noir (commissariat politique) qui, immeuble par immeuble, raflaient ceux qui figuraient sur la “ liste noire ” : acteurs, journalistes, politiciens, chanteurs, sportifs, avocats, banquiers, patrons, haut fonctionnaires… tous ceux qui avaient collaboré avec le régime archéo-français était immédiatement arrêtés et amenés au centre de détention provisoire du Parc des Princes…
Sur le parvis du Sacré Cœur, les “ bérets bleus ” du 4e commando regardaient Paris à la jumelle : de temps en temps, une explosion déchirait le ciel et les soldats pointaient du doigt la colonne de fumée naissante. Un sergent-chef, parisien de naissance, commentait : “ Là, ça doit être la Grande Mosquée qui brûle… L’Hôtel de ville est en flammes… L’Assemblée nationale et le Sénat aussi… Cet incendie près de l’Opéra : probablement le siège du Grand Orient… et à l’ouest, pas de doute, c’est Radio France qui a explosé ! ”. Une explosion très proche les fit vaciller : ils virent passer presque sous leurs yeux un Sukhoi-34. L’avion était si bas que l’on voyait distinctement l’insigne des forces aériennes biélorusses sommairement effacé et remplacé par une croix celtique noire peinte à la hâte… “ Ce n’est pas tombé loin ! ” hurla un soldat . Le sergent-chef hocha la tête : “ Ils doivent bombarder le boulevard Barbès ”.
Sur le Champ de Mars, l’arrivée d’une jeep fit s’envoler les pigeons. Des touristes japonais bloqués depuis la prise des aéroports de la capitale se faisaient filmer en compagnie des soldats qui relayaient les parachutistes. On entendaient des salves de douze fusils sans discontinuer depuis une heure. Dans la cour de l’Ecole Militaire, les officiers supérieurs accusés de collaboration étaient passés par les armes… Place de la République, un tir tendu de char Leclerc pulvérisa la statue de Marianne. Dans ce quartier très pluri-ethnique, la population était rapidement rentrée chez elle, un passage en rase-motte de deux hélicoptères pleins de mauvaises intentions dans leurs chargeurs ayant calmé toute velléité de résistance. La plupart des jeunes hommes avaient été incorporés dans les unités de défense de la ville de Paris (beaucoup d’ailleurs ne reviendront pas) et les quelques fatmas venus hurler des youyous haineux furent rapidement et définitivement calmées. Le 14 août, à 18 heures, les éléments avancés des cinq divisions firent leur jonction place du Carrousel. Puis, d’un coup, la totalité des églises de la capitale firent sonner leurs cloches, annonçant la prise de la ville. Des drapeaux tradilandais apparurent aux fenêtres et la population “ fêta ses libérateurs ” qui n’étaient pas dupes sur un “ retournement de veste ” rappelant les dignes heures d’août 1944… Mélange de fête et de tragédie, constata l’Imperator qui, l’Hôtel de Ville incendié, avait fixé son quartier général aux Invalides. L’armée maintenait l’ordre, et les soldats, fatigués par l’offensive, ne plaisantaient plus. Déployée autour des quartiers à forte connotation immigrée, la 4e division avait été obligée d’utiliser la force à plusieurs reprises… contre des “ résistants de la 25e heure ” voulant s’offrire une ratonnade maintenant que les puissants d’hier étaient devenus les parias d’aujourd’hui.
La nuit tombait sur Paris. Çà et là, des bals populaires fêtaient la libération : 5 divisions néo-françaises, avec leur intendance, cela faisait du monde ! Place Saint-Germain-des-Prés, on dansait devant la terrasse des Deux Magots où les officiers néo-français se désaltéraient. Les serveurs regardaient, ahuris, un pilote de chasse aux galons de commandant, visage taillé à la serpe et cheveux blonds, colosse de près de deux mètres, qui, frappant du poing sur la table, réclamait sa troisième bouteille de Smirnov avec un fort accent russe… Assise sur une chaise, Ludivine, maintenant âgée de dix ans, en uniforme de louvette de 1ère classe et longues nattes brunes, buvait du lait. Sa mère avait été affectée aux troupes de reconnaissance de la 1ère division qui avait libéré sa ville natale. Elle n’avait plus reconnu son quartier. D’ailleurs, on l’avait vite fait partir : il y avait des choses qu’elle ne devait pas apprendre… Heureusement qu’elle n’avait pas pu savoir ce qui était advenu de Vanessa, sa meilleure copine. Elle vit apparaître un garçon dans son champ de vision : uniforme des cadets de Tradiland, crème de l’élite de la jeunesse du Parti , croix de guerre à la poitrine. L’un de ces gamins d’une dizaine d’années qui s’étaient couverts d’héroïsme dans des opérations-commandos nécessitant petite taille, souplesse… et inconscience ! Il lui tendit la main : “ Voulez-vous m’accorder cette valse mademoiselle ”. Gravement, Ludivine se leva et se laissa guider. Ils tournoyèrent tout deux, jeunes et insouciants, ivres de joie, de vie, retrouvant leur enfance la guerre finie. Paris sera toujours Paris…

Chapitre 58 - Bienvenue à Tradiland

Film réalisé par les services de communication externe de Tradiland visant à montrer à l’étranger la supériorité de la société du jeune état… Thème musical : l’Hymne à la Joie de Ludwig von Beethoven. Une vue de la Terre centrée sur l’Europe. Puis, zoom avancé sur ce qui était jadis la France jusqu’à ce que le champ soit totalement occupé par Tradiland. La camera était centrée sur le Puy-de-Dôme, majestueux, tout auréolé de blanc. Puis, se succédèrent les différents paysages de Vendée, Poitou, Limousin, Bourbonnais, jusqu’aux contreforts du Forez et du Gévaudan, alternant les immeubles modernes que l’on construisait à Poitiers, les troupeaux de vaches du Cantal et même la ligne de front, quelque part en Haute-Loire… Puis, on vit l’Imperator en grand uniforme de chef d’état et la Matrone, la première dame du pays, qui portait l’uniforme des femmes du Parti à la tribune du Congrès annuel.

TRAVAIL

Un boulanger du Poitou sortait les baguettes et les croissants de son fournil, un boucher de la banlieue de Clermont-Ferrand tranchait les entrecôtes du jour, une fleuriste d’un chef-lieu de canton de la Creuse préparait son étal. Dans un petit village du Cantal, une fillette, cartable sur le dos, portant la blouse bleue-marine réglementaire des écolières, allait à l’école en gambadant et en chantonnant. Un universitaire compulsait fébrilement des tonnes de livres au Centre de Recherche de Saint-Marcel (Indre). A Limoges, on chargeait précautionneusement dans un camion des caisses d’assiettes en porcelaine destinées à l’exportation. Dans un petit village des Combrailles, une ouvrière textile réfugiée du Nord cousait une série de jupes plissées, commande d’un pensionnat de l’Allier.

Puis, ce furent les ouvriers de chez Michelin en bleu de travail qui se dirigeaient vers leurs postes (on vendait beaucoup de pneus, surtout à l’exportation), l’immense complexe sidérurgique des Ancizes, des ouvriers de la centrale nucléaire de Civaux qui sur leurs écrans de contrôle surveillaient la principale source d’énergie du pays, les chercheurs d’un laboratoire pharmaceutique des Deux-Sèvres élaborant les nouveaux médicaments, un tracteur labourant un champ en Lozère (la notion de quotas agricoles était un souvenir ancien) , un train de marchandises, un camion-citerne allant livrer leur fret, des cargos manœuvrant au large des Sables d’Olonne, des panneaux solaires étaient installés sur le toit d’un immeuble de Bellac pour réduire au maximum les importations de pétrole en provenance du Gabon et du Venezuela.

FAMILLE

Dans une clinique de Limoges, une sage-femme souriante remettait à une maman qui ne l’était pas moins la petite créature vagissante qui venait de naître. Dans une maison de retraite de Thouars, une grand-mère recevait la visite de ses petits-enfants. Dans un parc de Gannat, une mère de famille se promenait avec une poussette où gazouillait une petite fille que regardait avec joie ses cinq frères et sœurs. Dans un magasin de jouets de Montmorillon, un père de famille, cadre bancaire en costume-cravate hésitait longuement entre un camion de pompier et un avion pour l’anniversaire de son fils. Dans la cuisine d’une cité ouvrière de Montluçon, une fillette faisait ses devoirs. Dans un pré quelque part en Corrèze, un jeune adolescent aidait son père agriculteur à rentrer les foins.

A Brout-Vernet (Allier), un jeune prêtre célébrait la messe. Au Lucs-sur-Boulogne (Vendée), une jeune fille récitait son chapelet devant le monument des victimes du massacre du 28 février 1794. Dans une école primaire de Marvejols, des petites filles sautaient à la corde. Sur un terrain de jeu quelque part dans la banlieue de Poitiers, un père de famille en pantalon de survêtement surveillait le fiston qui tapait dans un ballon de football. Dans le salon d’une maison bourgeoise de Chamalières, une famille au grand complet était attablée pour le repas dominical. Des familles nombreuses sortaient d’une église catholique dont les cloches sonnaient à la volée…

PATRIE

Dans l’espace aérien tradilandais, deux Mig-31 volait en binôme vers le nord. Au large de la Vendée, un patrouilleur côtier (les puristes reconnaîtront un ancestral Osa-II lance-missiles) fendait les eaux bleues de l’Atlantique. Sur la ligne de front, dans le sud du Berry, deux T-90 tiraient au canon de 120 mm. Au sud, une patrouille de miliciens en uniforme bleu-marine surveillait la frontière entre le Cantal et le Lot. Des cadets de l’Académie Militaire de Tulle, portant l’uniforme qui avait été celui de Saint-Cyr avant sa dissolution par le gouvernement hexagonal, écoutaient religieusement un cours de doctrine militaire. Devant les fillettes du pensionnat de catégorie 1 Sainte-Anne-de-la-Providence à Malvières (Haute-Loire) alignées dans un garde-à-vous impeccable en gants blancs, chemisette bleu-ciel et jupe marron-gris, la chef d’équipe des “ Vertes ”, lauréate de la semaine, avait le privilège de descendre les couleurs…

Vinrent ensuite les sportifs les plus en vue du pays, qui défendaient à leur manière la nation. On put voir la championne de gymnastique Elodie Pontarlier à la poutre, avec toute la grâce de ses 15 ans et de son petit mètre quarante-cinq ; le joueur-vedette de la sélection nationale de Rollerball, le défenseur Benjamin Adam et ses 126 kilos dont le faciès de brute épaisse au crâne rasé laissait mal deviner qu’il était titulaire d’un diplôme d’ingénieur ; le champion de motocross Julien Cheyroux qui mettait son casque avant le rallye du Gévaudan ; la jeune championne d’équitation Marie-Flore de Castelbrajeac et enfin les champions nationaux de rugby, les “ Suricates ” de Brive et leur fort contingent Afrikaner. La présentation filmée s’acheva par le but désormais historique du jeune Florent Chartier, avant-centre de l’équipe nationale de football lors du match international opposant Tradiland au Gabon. Une ouverture de 60 mètres du défenseur latéral gauche qui trouva le meneur de jeu des “ noir et or ”. Aile de pigeon de ce dernier qui lui permit de mettre “ dans le vent ” deux défenseurs gabonais puis la passe vers Chartier et la reprise de volée acrobatique de ce dernier qui cloua sur place Désiré-Zéphyrin Moukoko. Gros plan sur la balle s’écrasant au fond des filets.

S’inscrivit alors sur l’écran : TRAVAIL, FAMILLE, PATRIE. Le but laissa place à un adolescent et une adolescente en uniforme des groupes de jeunesse, elle aussi blonde que lui était brun, avec cette annonce finale, résumant tout l’esprit du film et de la société qu’il incarnait : “ Tradiland. Tout simplement l’élite ”.

Chapitre 51 - L'Oeil du tigre

Madison square garden, New York. Dans ce temple du sport, nouvelles cérémonies païennes de ces peuples sans Dieu, une rencontre de boxe qui était suivie peut-être non par l’humanité toute entière, mais par tous les amateurs du noble art et également par tous ceux qui mélangeaient les valeurs chères à Pierre de Coubertin avec la politique. Car l’affiche qui était annoncée en ce soir du 22 décembre n’était pas seulement l’affrontement entre le champion du monde en titre et son challenger, c’était une guerre entre deux conceptions radicalement différentes de la société. Pour la première fois depuis le début de la guerre civile française, l’embargo que les ploutocraties occidentales avaient mené contre la zone libre avait été temporairement levé. De l’autre côté de l’Atlantique, dans tous les kiosques à journaux, la photo en Une du héros du jour, le capitaine de Légion Etrangère Yves Dragaud en grand uniforme, avec ce commentaire, sobre, efficace et terriblement français : “ Vas-y champion ! ”.

La carrière de celui que la presse tradilandaise avait surnommé “ l’archange de la mort ” avait commencé le plus modestement du monde dans une famille de réfugiés franc-comtois que les autorités avaient installé dans une ferme du Cantal. Elevé au pensionnat d’élite “ Saint Bénilde ” ouvert par le nouveau régime à Saint-Nectaire, il se destinait à l’Académie Militaire de Tulle mais la faiblesse de ses résultats scolaires en avait décidé autrement. Il avait alors intégré l’école des sous-officiers d’élite de Saint-Maixant qui formait les cadres des troupes de choc. Son physique de colosse développé et entretenu par des années de travaux dans la ferme parentale en avait un véritable Hercule que l’on aiguilla vers le choix du roi : la Légion Etrangère. Se couvrant de gloire tant sur le front du Forez que dans les quelques opérations extérieures, le sergent-chef Dragaud devint lieutenant au mérite. Lors d’une prise d’armes, il fut remarqué par le ministre des Sports qui persuada le gouvernement de faire de Dragaud la vitrine de la puissance du pays. Devenu rapidement champion de Nouvelle-France catégorie “ super-lourds ”, il se vit refuser de tenter un titre de champion d’Europe à cause de l’embargo frappant Tradiland. Il se trouva que le champion de France de sa catégorie, Kamel Benachour, était présentement détenu dans un camp de prisonniers quelque part en Lozère, capturé avec son unité de “ volontaires ” sur le front du Forez. Le ministre de la Propagande décida donc d’organiser un match entre Dragaud et Benachour à la Halle des Sports de Cournon d’Auvergne… Ce fut cette rencontre qui propulsa Dragaud au rang de héros national.
Droit sur sa chaise comme on lui avait appris à la maison, au pensionnat et à l’armée, Dragaud regardait son adversaire, du moins ce qu’il en restait. Le public de la Halle, totalement acquis à sa cause, bruissait de la rumeur amplifiée par les milliers de poitrines d’une foule en délire… “ DRAGAUD ! DRAGAUD ! DRAGAUD ! ”. L’œil bleu scrutait la chaise où gisait presque son malheureux challenger, avec un mélange antagoniste de pitié et d’indifférence. A l’autre bout du ring, la tête entre les gants, Kamel Benachour saignait comme un mouton le jour de l’Aït el-Kedir. De ses arcades sourcilières éclatées, le sang mélangé à la sueur formait une sorte de voile rosâtre opaque qui lui faisait voir tout flou. Les cris de la foule ne formaient plus qu’une vague bouillie sonore inaudible, et c’est tout juste s’il parvenait à entendre les consignes de son coach qui lui hurlait dans les oreilles. “Kamel, qu’est-ce que tu fous ? Pourris-lui sa race !!! ” Le franco-algérien tourna la tête et vit la forme dansante qui semblait être son entraîneur. C’est tout juste s’il parvint à déglutir : “Trop fort. Il est trop fort… ”. Ce fut ses dernières paroles… Le gong raisonna. La jeune fille en maillot argenté pailleté brandit une fois encore son panneau électronique : 03. Troisième round. Benachour se leva, rassembla en un seul paquet le peu de force et de dignité qui lui restait, et se rua à l’assaut de Dragaud. Il porta deux ou trois crochets et un direct avant l’extinction totale des feux. Le Français esquiva sans peine la dernière attaque lorsqu’il entendit la voix puissante de son manager lui hurler : “ Maintenant !!! ”. Dragaud recule, laissant venir son adversaire… Cinquante centimètres, un mètre, un mètre cinquante… Puis, d’un coup, il frappa au ventre. Benachour sentit ses poumons se vider de leur air. Plié en deux de douleur, il reçut en pleine tête le crochet du droit qui visait sa mâchoire. Il s’écroula comme une masse pour ne plus jamais se relever. “ TRAGEDIE EN TROIS ACTES ” titra le lendemain le quotidien des sports. Dragaud reçut le surnom “ d’Archange de la Mort ” dans un éditorial du Libre Arverne, hebdomadaire officiel du régime, tiré à 500.000 exemplaires.
Dans le vestiaire du Madison Square Garden, le capitaine Dragaud prie comme un chevalier avant le combat. Il se souvient de son ascension, des matchs succédant aux matchs. Il n’était plus retourné au combat depuis sa victoire. La guerre, c’était sur les rings qu’il la faisait… Silence de mort dans l’Arena de Belgrade. Un direct à écorner un taureau fit s’effondrer comme une masse le champion de Serbie Dragan Milosevic, mal en point depuis de longues minutes. Il a tenu quatre rounds contre l’Archange de la Mort… Dans le complexe d’imprimerie de Guéret, les rotatives tournaient à plein régime selon les directives des services du Ministère de la Propagande. Les médiats, y compris ceux qui n’avaient guère de lien avec le sport, consacrèrent au fil des victoires des articles au nouveau phénomène de la boxe mondiale… Képi Blanc, journal de la Légion Etrangère, 80.000 exemplaires : “ Le Capitaine Dragaud, l’esprit légionnaire ”.
Hurlement animal repris par les dix mille poitrines du Futuroscope de Poitiers. Un crochet du droit de Dragaud expédiait dans les cordes et pour le compte Fernando Gonzalez, champion d’Argentine et donné comme le meilleur boxeur d’Amérique Latine… Jeannettes, journal officiel pour adolescentes catégories 1 et 2, 300.000 exemplaires : “ Interview du Capitaine Dragaud : les demoiselles de Malvières incarnent l’idéal féminin ”, suivi d’une présentation de l’immense fratrie Dragaud : son père, sa mère et ses sept frères et sœurs… Au même moment, l’armée lançait une vaste campagne de recrutement : une affiche représentait Dragaud sur un ring dans la partie gauche, le même en grand uniforme dans la partie droite, avec le slogan suivant : “ Deviens comme lui ”. Dans Stars, journal officiel pour adolescents des deux sexes (lectorat majoritairement féminin) catégories 3 et 4 : “ Dragaud : mes victoires sont dues à la supériorité de nos valeurs ”.
Les crépitements des flashs à l’aéroport d’Aulnat mitraillaient le capitaine Dragaud qui débouchait dans l’aérogare en grand uniforme… “ Laissez passer, laisser passer le champion ! ” hurlait le manager à s’en faire casser les cordes vocales. Impossible d’échapper à la nuée de journalistes qui voulaient être les premiers à s’assurer l’exclusivité de l’interview du champion. “ Mon capitaine, après Benachour, vous avez tué au combat hier soir le champion des Philippines Marcos-Lopez, massacré sous vos coups en moins de 300 secondes. Comment vivez-vous cette nouvelle tragédie ? Etes-vous réellement l’homme le plus fort de tous les temps ? ”. “ Foutez-moi le camp les charognards de presse, ou je fais charger la Milice ! Le capitaine Dragaud s’exprimera demain à son camp d’entraînement, au 13e régiment de Légion Etrangère. Vous aurez le loisir de lui parler à ce moment-là, mais laissez-le récupérer… ” s’exclama le coach, visiblement hors de lui et voulant à tout prix protéger son poulain. Rapport du Ministère de l’Intérieur, classé “ Confidentiel ” : “ D’après nos informateurs, de plus en plus de jeunes adolescentes des quartiers ouvriers et de la classe moyenne tapissent leurs chambres des posters de Dragaud offerts dans les magazines pour jeunes. L’expression “c’est top Dragaud ” vient de faire son apparition dans les collèges des zones populaires et signifie “ c’est trop chouette ” ou “ c’est trop fort ! ” .
Dans le mess des officiers du 13e RLE en garnison à Mende (Lozère), un poste de télévision plasma diffusait en boucle les images de la veille qui avaient cloué d’horreur sur leur fauteuil le peuple philippin tout entier. On y voyait le néo-Français, short noir, littéralement mettre à mort le pauvre boxeur de Manille, short blanc, pris sous la tempête dès le premier round et qui ne survécut pas à la correction infligée par un Dragaud plus professionnel que jamais. Aucune haine pour le pauvre Marcos-Lopez. Un TGV n’a pas de haine pour la vache qui se place en travers de la voie. Il était soldat. Tuer faisait partie de son métier… Le coach emmena les journalistes, dont – pour une fois – des étrangers, dans la salle de musculation du régiment, devenue salle d’entraînement du boxeur où ce dernier finissait son échauffement. Fier de lui, le coach montra une machine. “ Vous connaissez messieurs, puisque vous êtes journalistes, cet appareil. Il permet de mesurer la pression des coups. Un boxeur poids-lourd normal atteint 340 kilos psi. Un crack comme Mike Tyson dans sa belle époque, 500 kilos psi… Messieurs. A vous de juger… ” Sautillant sur place, Dragaud concentra toute son énergie et frappa de toutes ses forces sur l’appareil. Les diodes rouges sur fond noir s’allumèrent. Les journalistes en restèrent ébahis, certains sentant leur échine se glacer : 1038 kilos psi ! Plus téméraire, un journaliste américain lança : “ Mais cela signifie quoi tout ça ? ” Un rictus de mépris s’afficha sur le visage de l’entraîneur : “ Cela signifie, mon cher Yankee, que le capitaine Dragaud extermine tout sur son passage et que je ne donne pas 6 rounds au gros lard que vous prétendez champion du Monde… Me suis-je bien fait comprendre ? Alors dans ton journal, écris que le capitaine Dragaud ne fera qu’une bouchée de vos prétendues vedettes dopées comme des bêtes de concours si vous levez votre saleté d’embargo. Fin de l’entrevue… ”. Tradition, mensuel de l’Eglise catholique traditionnelle, 150.000 exemplaires : “ Le Capitaine Dragaud : Je prie Dieu avant chaque rencontre ”.
L’œil fixé sur les écrans géants installés dans les principales salles de cinéma, tout Tradiland regardait le combat qui allait commencer. Le Madison Square Garden était pavoisé aux couleurs des deux nations : le Stars and Stripes américain et le drapeau tradilandais, noir avec la croix argent et les quatre symboles de la société tradilandaise : le Sacré-Cœur, la fleur de Lys, la Croix celtique et la francisque. Toute une histoire nationale récupérée à ceux qui n’en voulaient plus et qui, avant “ le Grand Exode ”, faisaient de gré ou de force partis de la même société et du même pays. Il n’y avait pas une ville, pas un village, dont le cœur ne battit à l’unisson de son champion… La levée de l’embargo contre Tradiland après l’offensive alliée contre ce qui restait de la France avait permis l’organisation de cette rencontre. Il avait fallu d’abord à Dragaud devenir Champion d’Europe, ce qui fut fait au mois d’août en deux rounds seulement contre le tenant du titre, l’Anglais Bruce Wilkinson… L’adversaire de Dragaud fut connu immédiatement : Abdul Siki, Steve Washington avant sa conversion à l’Islam, champion du monde poids-lourds depuis un an. Assis dans son jacuzzi, un énorme collier composé d’une dizaine de chaînes en or massif autour du cou, Abdul Siki regardait les cassettes vidéos des matchs de Dragaud en hochant la tête. “ Tu l’auras quand tu veux ! ” lui lança son manager. Machinalement, le boxeur passa sa main sur son crâne rasé. Il était fasciné par cet uppercut qui frappa au menton Wilkinson et le propulsa la tête la première en arrière comme un pantin désarticulé… Assis sur une table d’étudiant installé dans une salle de projection au centre d’études anthropologiques, le capitaine Dragaud écoutait un scientifique en blouse blanche : “ Suite à des prélèvements d’ADN sur votre adversaire réalisés à partir de sang récupéré sur une serviette lors de son dernier combat, nous avons été en mesure de reconstituer la structure physique de Siki et son génome ethnique. Ses ancêtres étaient originaires du Congo, d’une tribu de l’intérieur dont nous avons pu retrouver des cousins similaires chez notre allié gabonais. Nous y avons sélectionné les éléments les plus musclés et les mieux entraînés, des militaires pour la plupart. Ils seront vos sparring-partners pour vous apprendre à boxer contre un noir. Nous ne laisserons rien au hasard ”. Le lendemain de son retour du Gabon, Dragaud s’embarquait pour l’Amérique à l’aéroport Edouard Michelin d’Aulnat.

Les deux boxeurs firent leur entrée l’un sous les applaudissements, l’autre sous les huées. Le speaker les présenta : “ A ma droite, short vert, mesurant 1 m 88, pesant 105 kilos, le champion du monde en titre, “ le Canonnier de Saint-Louis ”, “ la Panthère Noire du Missouri ”, Abdul Siki !!! ” La foule applaudissait bruyamment son champion. Mais déjà la bronca se faisait entendre… “ A ma gauche, short noir, mesurant 1 m 91, pesant 109 kilos, le champion d’Europe et outsider, “ l’Archange de la Mort ”, “ le Légionnaire ”, Yves Dragaud !!! ”. L’arbitre donna les dernières consignes. Les deux boxeurs se tapèrent mutuellement les mains à travers leurs gants et chacun regagna son coin. Le gong retentit. Premier round. Les deux boxeurs s’observèrent, se testèrent. Siki porta les premiers coups, que Dragaud encaissa sans broncher. Ils tournaient l’un autour de l’autre, comme deux fauves à l’affût, la panthère noire contre le loup blanc, attendant le moment venu de se jeter à la gorge de l’autre. Comme deux joueurs de poker, chacun semblait garder ses bonnes cartes pour le reste de la rencontre. Ne pas se découvrir tout de suite, laisser venir l’autre et frapper le moment venu… C’est Siki qui frappa le premier, mais son direct fut paré par Dragaud qui répliqua par une série de jabs. Les coups étaient retenus, il ne voulait pas s’exposer à une contre-attaque foudroyante de l’autre. Dragaud tenta un crochet du droit éclair mais la réplique de Siki fut aussi vive. Au Bunker Palace, la télévision plasma du service d’information avait été montée dans le bureau impérial où l’Imperator suivait la rencontre avec Grand, le ministre de la Propagande, et Malard, le ministre des Sports… le rictus qui plissa le visage de l’Imperator lorsque un uppercut de Siki envoya rebondir Dragaud dans les cordes en toute fin de round, fit que le ministre des Sports en renoua sa cravate, mal à l’aise et avalant sa salive…
Dans la salle, la foule était hystérique, elle avait dans la bouche le goût du sang… 2e round : Dragaud met Siki en difficulté, mais le boxeur noir parvint à se dégager… Les coups commencent à tomber de plus en plus drus. Le combat était titanesque : la force impressionnante de Dragaud était compensée par l’expérience de Siki. Chacun pouvait à tout moment remporter la victoire. Sous le mot “ ROUND ”, le panneau électronique afficha en diodes rouges le chiffre 4. Les deux boxeurs se neutralisaient pour le moment. Le public hurla sa joie quand un direct de Siki fit plier Dragaud, cria sa colère quand le Français expédia un uppercut violent qui ouvrit le menton de son adversaire… Miss Etats-Unis monta une nouvelle fois sur le ring avec son atroce robe rose à paillettes qui était censée mettre en valeur sa peau caramel de Latina. Elle fit un tour sur elle-même brandissant le panneau indiquant qu’on entrait dans le 6e round. Les deux hommes saignaient maintenant, les arcades sourcilières ouvertes, les mentons écorchés.
Ce n’était plus un match, c’était une corrida, avec double descabello… Petit à petit, leur jeu se déstructuraient, ils avaient perdu toute technique. Ils frappaient de plus en plus fort. Dragaud reçut dans le ventre un coup qui aurait assommé n’importe qui, mais le gong le tira d’affaire. Les chiffres dansaient : 7e round, 9e round, 11e round, 12e round… A Harlem, partout où il y avait des télévisions, les Noirs interpellaient leur champion à travers l’écran : “ Yo Brother ! Tue, tue, tue le cochon blanc ! ”. De l’autre côté de l’Atlantique, dans les bars des quartiers ouvriers, mêmes encouragements pour Dragaud : “ Vas-y mon gars ! Défonce-lui la gueule à l’autre babouin ! ”. En temps de guerre, l’ennemi n’est plus un être humain. Il n’est qu’un animal. Pas question de “ babouins ” ou de “ cochons ” tant au Bunker Palace qu’à The White House, mais les deux chefs d’état ne perdaient pas une miette du spectacle qui aurait un grand retentissement dans leurs nations respectives. Sur le ring, les jeux de jambes perdaient de leur finesse, les coups se faisaient moins précis, les périodes d’accalmie plus longues. Le pénultième round s’acheva. Les deux boxeurs étaient en stricte égalité aux points. Tout se jouait maintenant.
15e et dernier round. L’ heure des choses sérieuses était venue. Les deux boxeurs étaient assis sur leurs chaises, épongés par leurs staff médicaux. Ils se défiaient de loin. C’était celui qui arriverait à faire céder l’autre. Ce n’était plus le combat entre deux hommes, cela ne l’avait jamais été, c’était le combat entre deux pays, deux idéologies, deux continents, deux religions, deux races. Ils avaient éprouvé tour à tour du respect, de l’admiration, de la méfiance pour l’autre. Mais maintenant, c’était terminé. Il y avait trop d’enjeux. Ils étaient deux pions sur l’échiquier. 14 rounds à se taper dessus, sans voir arriver la victoire. 14 rounds à espérer voir l’autre céder pour rentrer triomphant chez soi. 14 rounds… Il n’y avait plus de boxe, il n’y avait plus de cause, il n’y avait plus de sport. Il n’y avait plus qu’un grand sentiment unique, partagé de concert par Yves Dragaud et Abdul Siki. A cet ultime manche de trois minutes, il ne restait plus que la haine… Dragaud s’entendit appeler. Il se tourna. C’était une jeune femme, 20-25 ans peut être, avec les traits caractéristiques des filles du Middle West. Elle était parvenue à s’approcher du ring. Elle lui lança en français, avec un fort accent de l’Iowa : “ Capt’ain Dragaud. Vous avez reçu mon listing ? Vengez-les, vengez-nous tous et toutes !!! Give us hope !!! ” Déjà les vigiles la raccompagnaient de force à son siège, mais elle eut encore la force de hurler : “ We must secure the existence of our people and a future for White children ! ” Dragaud se souvenait de cette enveloppe, parvenue dans sa chambre d’hôtel. Une compilation d’articles de presse, de crimes racistes commis par des noirs contre des blancs aux Etats-Unis et dont les victimes n’avaient pas été reconnues comme telles. La plupart des faits étaient vieux de quelques années, Dragaud s’en souvenait pour l’avoir lu dans la presse dissidente… Les noms sonnaient dans sa tête… Tiffany Long, 10 ans, de Burlington (Caroline du Nord), violée et torturée à mort par des noirs des deux sexes ; le couple Bagley de Killenn (Texas), brûlés vifs par des noirs en allant à la messe ; Melissa Mac Laughlin, (Caroline du Sud), violée, torturée à mort et pelée vive par un gang noir ; les cinq blancs de Wichita (Kansas), la joggeuse de Central Park… Oui, il ne les avait pas oubliés, pas plus que 90 % des crimes racistes aux USA étaient commis par des Noirs contre des Blancs, ce qui avait été toujours occulté… Dragaud se leva de son siège et marcha calmement vers le centre du ring…
Le silence régnait au Madison Square Garden. On aurait entendu voler un portefeuille… La mise à mort commençait. Dès le début, le Français se précipita à l’assaut de l’Américain. La fatigue avait émoussé la technique de ce dernier et maintenant, la force brute du légionnaire primait. Il entama une série de directs qui fit baisser la garde de son adversaire. Le cri de Dragaud, inhumain, guttural, monta du fond de ses tripes : “ EEEEEEUUUUUAAAAAAHHH ! ”. Crochet du droit. Siki vacilla en reculant de trois pas. Crochet du gauche, il rebondit dans les cordes. Nouveau crochet du droit, il se plia en deux. Uppercut au menton et le boxeur noir s’écroula. Il se releva à 6 avec difficulté. Dragaud était parti à l’assaut et la question qui se posait était simple : Siki tiendrait-il jusqu’à la fin du round ? Pour infirmer les prédictions de ceux qui le voyait perdre, le Noir contre-attaqua, et martela son adversaire au niveau des abdominaux, tentant, de s’extirper de son emprise. Mais Dragaud était survolté. Il entama une nouvelle série de crochets et d’uppercuts qui faisait ballotter Siki. Ce dernier retomba au sol mais se releva rapidement et essaya de contre-attaquer… Une pluie de coups s’abattit sur lui et un crochet sec le fit choir encore une fois… Il se releva péniblement alors que l’arbitre avait compté huit. Il restait moins d’une minute mais Siki était devenu un punching-ball humain. Il encaissait espérant tenir encore les quelques dizaines de secondes restantes… Changeant la localisation de ses coups, Dragaud procéda comme un bûcheron abattant un arbre, harcelant son adversaire aux flancs. Les coups, portés avec une violence inhumaine, usa progressivement la résistance de Siki. Il ne restait que 20 secondes. Hagard, l’Afro-américain baissa sa garde. Dragaud recula en sautillant, prit son élan et de toutes ses forces frappa comme une mule en hurlant comme jamais être humain n’avait hurlé. Son adversaire s’effondra comme une masse. 1… 2… 3… 4… 5… 6… 7… 8… 9… KO !!! Le silence dans le Madison Square Garden. Un silence de mort. Pas un sifflet mais pas une acclamation. Une salle qui se vidait lentement… Yves Dragaud saisit la ceinture dorée de champion du Monde et la brandit à bout de bras. Il était venu pour vaincre, il avait vaincu. Il avait hâte de rentrer chez lui. Ce pays lui faisait horreur. L’avion qui le ramenait au pays décolla de l’aéroport JFK. Alors que l’avion survolait les eaux bleu-vert de l’Atlantique, le capitaine Dragaud esquissa un sourire. Il retournait parmi les siens…

Chapitre 36 - Noël à Tradiland

« Où êtes-vous donc aujourd’hui, tendres Noëls de mon enfance, où êtes-vous donc aujourd’hui tendres Noëls de mon pays ? » disait le chant de Noël. Assurément, ils étaient de retour, accompagnés des neiges d’antan. Une partie importante de Tradiland était sous la neige : l’Auvergne, le Limousin, la Marche étaient recouverts d’un tapis blanc. En ce 24 décembre, il neigeait quelques flocons sur Clermont-Ferrand, qui se déposaient sur l’uniforme bleu marine des miliciens qui, imperturbables, bouclaient le quartier de la cathédrale. La messe de minuit, dite par Mgr Collet, serait célébrée en présence de l’Imperator et de sa famille et des principaux dignitaires du régime. Dans la sacristie, l’Evêque relisait les dernières pages de son sermon, pendant que les servants de messe et les enfants de chœur se préparaient sous l’œil vigilant du senhor Delgado, le vénérable sacristain portugais. On assignait les porte-bannières pour la procession allant de la cathédrale de Clermont-Ferrand à Notre-Dame-de-la-Merci via la rue du Port, la rue d’Espagne, la place Delille, la rue Pierre Laval (anciennement des Jacobins) et l’avenue d’Italie.

Les cloches de la cathédrale commencèrent à sonner. L’immense orgue de la cathédrale avait été confié au chantre, Monsieur Pignon. A ses côtés, tous les paroissiens pouvaient reconnaître à sa chevelure de feu Mademoiselle Deluc, le Ministre de l’Education Nationale, qui allait chanter durant l’office. Pourtant, ce furent les hommes qui entamèrent celui-ci par l’Adeste Fideles. On pouvait percevoir la voix de baryton de l’Imperator en personne, qui rivalisait en puissance avec celle du colonel Courtiaud, le chef de la Garde Noire. Il y avait longtemps que l’antique cathédrale où Pierre L’Ermite avait prêché la Croisade, n’avait pas résonné de tant de ferveur, de tant de chants traditionnels, de tant de cris d’enfants. Au moment de l’offertoire, c’est l’Imperator en personne, accompagné par la Matrone à l’orgue, qui entonna Minuit Chrétiens ! Il y mit toute sa ferveur de chef d’Etat et chef de Parti dans ce chant annonçant la victoire totale du Rédempteur dont il était lieutenant sur terre. « Peuple, à genoux, attends ta délivrance… Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur ! Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur ! ». La délivrance… Ils avaient arraché par les armes leur liberté. Ils avaient tout risqué pour pouvoir vivre en chrétiens sur la terre de leurs ancêtres. Mais pour eux, il y avait encore beaucoup de travail, comme le récent bombardement de Clermont-Ferrand le leur avait révélé. Dieu donnerait la victoire au moment où Il le souhaiterait, l’Imperator était confiant. Les nombreux enfants (la moyenne par famille de catégorie 1 tournait aux alentours de 7, 4 chez les familles de catégorie 2, 2 seulement chez les catégories 3 et 4) pouvaient maintenant grandir dans un régime où ils avaient un avenir. « Même si bien des larmes et du sang seront versés, en vérité je vous le dis ! avait conclu l’Imperator dans son dernier discours… Mais l’épée de Damoclès était encore suspendue au-dessus de leurs têtes : même fortement ébranlée par les pertes de l’automne, le régime était encore en état de mordre. Il fallait attendre que les livraisons des néo-Soviétiques soient effectives, notamment les avions de chasse avant de pouvoir lutter à armes égales. Il fallait surtout combler le vide entre les troupes d’élite et la milice et créer une vraie armée de métier et des structures de mobilisation. De quoi donner quelques idées de prières au général Dieuze, le chef des armées… “ Il voit un frère où n’était qu’un esclave, l’amour unit ceux qu’enchaînait le fer ”. Pour les Tradilandais, ce premier Noël était celui de la liberté. Tous avaient connu les persécutions de l’ancien régime. Les lois de plus en plus restrictives, cet “ apartheid mesquin ” allant de l’impossibilité faite de donner une éducation chrétienne à ses enfants aux discriminations dans l’accès aux postes à responsabilité, en passant par la panoplie des mesures vexatoires avait enjoint nombre d’entre eux à franchir le pas. La fermeture une à une des bonnes écoles pour cause de “ non-respect des normes de sécurité ”, l’interdiction de l’enseignement à domicile, l’interdiction des carrières militaires et policières aux gens suspectés d’être de “ mauvais citoyens ” avaient provoqué un appel d’air en direction de Saint-Julien et de son maquis en un coup de boutoir désespéré contre le régime. Et contre toute attente, celui-ci avait craqué comme une vieille pièce de drap usée, abandonnant entre les mains des “ Tradilandais ” surpris un territoire comprenant grosso-modo les anciens départements de Vendée, Vienne, Haute-Vienne, Deux-Sèvres, Corrèze, Creuse, Allier, Puy de Dôme, Cantal et Lozère. Ils avaient maintenant une nouvelle patrie, un nouveau pays, un nouveau drapeau, un nouvel hymne national, une nouvelle devise, une nouvelle capitale. Ce couplet faisait toujours naître un pincement au cœur de Balthazar, le Martiniquais dont les ancêtres avaient été arrachés à leur Afrique natale par les négriers juifs, vendus par les roitelets locaux dont ils étaient déjà les esclaves… Centurion de Milice et Tradilandais de catégorie 1, il avait milité jadis au Front National comme son voisin Olivier Melchior, du plus beau jaune…Comme aux réunions du Parti on les voyait souvent ensemble avec un troisième larron blanc de peau, François Carrière, on les avait baptisés “ les Rois Mages ”. Plus qu’intégrés, fondus dans la masse, ils ne suscitaient pas la même animosité. Le tri ayant été fait entre le bon grain et l’ivraie, les “ colorés ” n’étaient plus la cible de suspicion maintenant qu’ils ne représentaient plus que 0,5 % de la population… “ Peuple, debout, chante ta délivrance… Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur ! Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur ! ”. Toute l’assistance reprenait le refrain à pleine poitrine. Une pensée commune submergeait l’assemblée : à Paris !!! La totalité de l’assemblée était de catégorie 1 ou 2. Elle payait au prix de la sueur et du sang les sacrifices de la guerre. Combien de femmes et de jeunes filles dans l’assemblée avaient un mari, un fils, un frère, un fiancé au front. Bien sûr, la mobilisation progressive des gens de catégorie 3 soulageait un peu les catégories 1 et 2 du poids de la guerre, mais l’inquiétude était pesante même si “ la drôle de guerre ” persistait devant le manque de pugnacité du camp régimiste qui se contentait d’escarmouches et de raids de ses mercenaires allogènes, englué qu’il était dans ses crises internes. Mois après mois, Tradiland structurait son armée. L’ordre de bataille dont rêvait l’Impérator aux temps héroïques du maquis Saint-Julien prenait forme. Un à un, bataillons et régiments naissaient. Les Académies militaires en formaient l’ossature et on pouvait compter sur la désertion massive d’officiers et de sous-officiers d’une armée archéo-française en pleine déliquescence. De la dernière promotion de Saint-Cyr avant la fermeture de l’école, 45 % des sous-lieutenants avaient rallié l’armée tradilandaise… La messe étant retransmise par télévision, c’est tout Tradiland qui chantait à l’unisson. Impeccablement sanglés dans leurs uniformes, les soldats du bataillon blindé de la Garde Noire en garnison à Orcines, chantaient à pleins poumons en effectuant le salut romain, leurs T-90 fraîchement baptisés alignés sur l’esplanade.
Partout sur le territoire de l’état libéré, on célébrait la naissance du Roi des Rois, quelque soit la catégorie, et on dressait le bilan d’une année riche en événements. Plus on descendait dans la hiérarchie, moins évidemment on se réjouissait de la tournure de ceux-ci. Assise dans un coin de la cathédrale, la mère de Ludivine regardait sa fillette chanter Les Anges dans nos campagnes dans la chorale des louvettes. Jour après jour, le pensionnat transformait sa fille en l’une des leurs. Elle se pliait d’elle-même aux us et coutumes de son nouveau pays, les modes vestimentaires étant aux antipodes de celle de la cité HLM d’où elle venait, de même que les références culturelles. Elle apprenait à redevenir une petite blanche fière de sa culture et de son histoire. Jour après jour, elle était de moins en moins perdue, aidée en cela par la charité de ses camarades de classe et par son immense bonne volonté. Sous l’œil attendri de son parrain, l’Imperator en personne, Ludivine se transformait jour après jour en vraie petite tradinette… Progressivement, sa mère commençait elle-aussi à évoluer. Cette année, la crèche avait fait une première apparition dans l’appartement familial, Ludivine précisant à sa mère que “ le Jésus, il ne faut le mettre que le 25, après la messe de Minuit ”. De même, les pantalons avaient disparu de la garde-robe, le maquillage s’était fait discret, un crucifix avait été accroché dans la chambre de la petite, la télévision abandonnée dans l’ancien appartement – probablement pillé depuis – n’avait pas été remplacée… Chez les Noyer, famille catégorie 2, on voyait les choses avec sérénité. Le mois de décembre avait été marqué par un événement triste mais attendu : la mort de madame Noyer grand’mère à l’âge vénérable de 94 ans. Mais au moins, conclut le petit-fils, elle a eu une vraie messe d’enterrement, avec un vrai prêtre en soutane qui est venu jusqu’au cimetière, et pas ce n’importe quoi qu’on avait vu lors de la mort de papa. Chef de service dans les Travaux Publics, Jean-Marc Noyer avait dirigé la réorganisation d’une DDE dont l’ancienne administration, déliquescente au possible, avait totalement discrédité la réputation, le synonyme de “ fainéants ” étant systématiquement accolé aux fonctionnaires en véhicule utilitaire orange. Même le nom DDE avait été supprimé, transformé en DRTP (Division Régionale des Travaux Publics). Et en ce jour de veille de Noël, devant le repas du réveillon, il avait l’impression pour la première fois depuis longtemps de ne pas travailler pour rien. Chez les Mérignot, catégorie 3, on était loin des préoccupations des catégories 1 et 2. Pour eux, la vie suivait son cours. Pas la moindre trace de religion en ce 24 décembre, prétexte à des libations culinaires et une débauche de cadeaux aussi chers qu’inutiles. Les magasins étaient pleins, nouveau régime ou pas, on avait toujours du travail et, comme disait doctement le père Mérignot entre deux verres de rouge, “ Faut pas se plaindre ”… Il n’aimait pas trop les programmes que l’on passait à la télé ni le fait que les gamins revenaient de l’école avec à la bouche les leçons de morale du Parti, mais bon… la feuille de paie était un peu plus épaisse, la sécurité – y compris celle de l’emploi – était revenue, on avait de quoi bien manger dans une maison chaude… Peu importe le flacon, pourvu qu’on boive le contenu ! “ Moi ”, soliloqua Mérignot, “ j’fais pas d’ politique, j’suis pas syndiqué, j’fais pas le malin, j’risque quoi dans l’ordre nouveau ? Nib, peau d’zébi et balai de crin ! J’suis catégorie 3, qu’est-ce que ça peut m’fiche ? J’suis pas payé moins et j’veux pas faire député ! Ils peuvent faire le business qu’ils veulent là-haut, à Bunker-Palace, tant qu’ils ne vident pas mon frigo et qu’ils m’empêchent pas d’aller en vacances, au fond, je m’en fous pas mal de plus voter ! Toute façon, avant, on votait et le politicard, il faisait l’inverse de ce qu’il avait promis, alors… ”. Chez les catégories 4, par contre, le Noël était saumâtre. Beaucoup avaient perdu leur situation et le moral était au plus bas. Ils n’avaient pas cru à cette flambée de révolte, partie d’un petit village du centre de la France… Même quand “ les Jacques ” avaient fusillé le sous-préfet sur la place du village, ils avaient pensé que l’ordre serait rétabli rapidement. Puis, jour après jour, devant l’avancée irrésistible des troupes rebelles, les défections de plus en plus nombreuses, d’abord d’officiers isolés puis de compagnies entières, la perte pour Paris de 60 % des effectifs de ses troupes d’élite (100 % de la Légion !) avaient commencé à les alarmer. Mais pour beaucoup d’entre eux, c’était tout bonnement trop tard… L’épuration avait frappé de plein fouet. Dans le meilleur des cas, c’était la révocation, dans le pire… Après deux mois de répression féroce, l’étreinte se desserrait mais restait l’appartenance à la catégorie 4, c’est-à-dire l’indignité nationale et la privation des droits civiques et familiaux. Et, histoire de bien river le clou, les nouvelles autorités avaient fait précéder leurs décisions de cette phrase : “ Conformément à la jurisprudence de 1944… ” Le pire, c’était quand ils utilisaient contre eux les propres armes qu’ils avaient concoctés pour détruire définitivement la France traditionnelle qu’ils haïssaient. Plusieurs enseignants avaient ainsi été révoqués pour “ racisme ”, la “ loi anti-Secte ” dirigée à l’origine contre les traditionalistes avait été retournée et appliquée aux Francs-maçons, la loi contre le sexisme avait cassé les reins aux féministes.. Protester contre “ l’injustice ” de leur sort ? Mais comment ? Ils n’avaient plus le moindre accès aux médiats ! Beaucoup en étaient réduits à demander aux autorités d’être expulsés vers la zone gouvernementale, libérant la place aux réfugiés venant dans l’autre sens.
Pour d’autres, Noël eut une saveur particulière. Le sergent-chef Louis-Gonzague Cartier, de l’Ecole des sous-officiers de Saint-Maixent, avait été assigné en stage aux troupes des gardes-frontières quelque part sur la ligne du front forézien. Un univers glacial de sapins, de neige, de rochers où il devait surveiller d’éventuelles infiltrations ennemies. De garde la nuit de Noël, il tenait le poste d’observation juste à l’endroit où l’on passait du Puy de Dôme à la Loire. La neige tombait, saupoudrant sa tenue camouflée blanche. L’ennemi fêtait-il Noël ? Il avait persuadé son lieutenant de ne changer en rien les patrouilles et surtout de ne pas dégarnir le dispositif de sécurité. Il s’était porté volontaire afin de donner l’exemple. La nuit était tombée et le silence oppressant se joignait à l’opacité de la nuit pour créer une atmosphère des plus sinistres. Son AK-47 en bandoulière, il attendait une hypothétique attaque. La neige qui tombait de plus en plus drue faisait qu’on n’y voyait rien à plus de dix mètres. Il pensait à sa famille qui fêtait Noël, le jeune garde-frontière. Lui était loin des siens, loin de sa Vendée. Que faisaient-ils à cette heure-ci ? Etaient-ils déjà revenus de la messe de minuit ? Ses frères et ses sœurs lui manquaient. Il était l’aîné d’une importante fratrie de 8 enfants, 5 filles et 3 garçons. La plus jeune, la petite Hombeline, n’avait pas trois ans. Il imaginait la petite bonne femme aux bouclettes blondes ouvrant ses cadeaux devant la crèche. La plus grande de ses sœurs, Marie-Agnès, 16 ans, passait son bac littéraire au pensionnat de catégorie 1 de Romagnat, elle avait dû encore changer depuis sa dernière sortie, chaque jour un peu moins fille, chaque jour un peu plus femme… Son frère le plus proche, François-Xavier, 15 ans, était scolarisé à l’Académie des Cadets, le Lycée Militaire de Tulle. Dans quelques années, ce sera lui qui, les deux sardines de sergent aux épaules, patrouillera au milieu de nulle part dans le froid et la nuit… Il ferma les yeux, pensa à la grande tablée familiale dans le salon, le sapin qui illuminait le coin de la pièce où nulle télévision ne venait troubler l’atmosphère, l’Angélus récité en famille, le Pater Familias bénissant le repas. Les Cartier étaient une famille solide, l’une de celles qui avait été les pionnières de l’indépendance. Dans les placards, on voyait l’uniforme de commandant d’infanterie de Pierre Cartier, l’uniforme de cheftaine d’arrondissement des femmes du Parti de Madeleine Cartier, les uniformes de pensionnat de Marie-Agnès, Anne-Cécile et Marie-Marguerite Cartier, les tenues de louvettes, guides et cheftaine des trois filles (1re section d’élite de Vendée Jeanne-Marie Kegelin ; 2e section d’élite de Vendée Maria Goretti ; 1re section de Vendée Marie Papin ) et de Flamine Cartier, la petite 4e, âgée de 6 ans, pas encore scolarisée mais incorporée aux Louvettes de la 5e section Enfants des Lucs, l’uniforme de Cadet de François-Xavier Cartier et celui de la Jeunesse Impériale de Raphaël Cartier, 12 ans… Nostalgie du pays. Un bruit venait de l’autre côté de la frontière, assourdi par le vent qui soufflait en rafales. Il sursauta et machinalement, attrapa sa kalach et s’installa en embuscade. Des coups de feu, il n’avait pas la berlue. Cela semblait venir du village situé en contre-bas, en zone hexagonale. Il donna l’alarme. Trois heures plus tard, les cadavres d’une dizaine de pillards jonchaient le sol du hameau qu’ils avaient rançonné. C’est parmi les siens que Louis-Gonzague Cartier fêterait le Nouvel An, le bras en écharpe, la Croix de Guerre sur la poitrine et la reconnaissance éternelle de la fille du fermier qu’il avait sauvée d’un sort pire que la mort bien qu’elle ait pu se réfugier dans le grenier. C’est en essayant de la déloger que les pillards avaient vu la patrouille leur tomber dessus. Le 31 décembre, on mit un couvert de plus chez les Cartier. Et ce couvert y resta pour toujours…
A la maternité Saint-Joseph, la doctoresse de garde, cigarette au bec, rangeait les dossiers quand elle fut interrompue par le bruit de coups sur la porte. La porte s’ouvrit et une jeune infirmière au visage rond entra timidement : “ Pardon docteur, mais est-ce que je peux… ” La doctoresse lui répondit vivement : “ Je sais, Anne-Sophie, vous allez me demander de partir une heure plus tôt pour pouvoir aller à la messe avec vos parents… ” La jeune fille rougit jusqu’aux oreilles : “ En plus mon frère est revenu en permission ce matin…
­- Fichez-moi le camp chez vous avant que je ne change d’avis ! ”. La doctoresse regarda la jeune fille s’en aller. Il y en a qui avaient de la chance de pouvoir passer Noël en famille. Au fait, sa famille à elle, fêtait-elle Noël ? Elle avait eu une famille, il y a longtemps, bien avant la guerre. Elle avait coupé les ponts depuis au moins 20 ans et se demandait parfois s’ils étaient encore en vie. Aux dernières nouvelles, ils habitaient toujours près de Pont-l’évêque. Elle alluma la télévision, juste à temps pour le flash d’infos de la chaîne culturelle Télé Courtoisie. “ Voyons ce que la propagande va nous raconter… ” Rien de particulier aux actualités : le sapin de Noël de l’orphelinat de filles Sainte-Germaine de Pibrac et de celui des garçons Saint Jean Bosco avec un appel de la directrice aux gens de catégorie 1 sans enfants, une escarmouche sur le front du Lot où un commando tradilandais s’était enfoncé de 35 kilomètres en zone ennemie pour y réaliser quelques opérations avant de revenir sans pertes, la fin de la normalisation au Gabon et l’alignement du nouveau régime post-bonguiste sur Tradiland... Assise à son bureau, devant son petit réveillon improvisé, elle entendit un bébé pleurer dans le service. Le seul bébé de cette clinique réservée aux femmes ne désirant pas garder l’enfant dans ce pays où l’avortement avait été aboli. Grommelant “ on ne peut même pas manger tranquille ! ”, elle prépara un biberon et une couche propre, histoire de parer à toute demande du petit braillard. Quelques instants plus tard, propre et repu, le bébé se mit à gazouiller, tendant ses petits bras vers celle qu’il pensait être sa maman. La doctoresse lui dit : “ On a bien mangé Monsieur ? On est tout propre… On va faire un gros dodo et me laisser réveillonner tranquille… ” Le bébé gazouillait de plus belle en battant des jambes. La doctoresse souriait, conquise : “ Mais oui Monsieur, on me fait de grands sourires !!! ”. Elle quitta la chambre et retourna dans son bureau. Venue du dehors, probablement de la cité ouvrière voisine, une ritournelle pour enfants la pétrifia au beau milieu d’une bouchée : “ Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige ,il tourne tourne le manège ; encore un tour une dernière fois et je rentre chez moi ”. C’est toute son enfance qui lui remonta en pleine figure. Elle pensa à la petite fille qu’elle avait été, revoyait les Noël en famille avant que, sur un coup de tête, elle ne coupe les ponts pour toujours. Elle revoyait son père, qui n’avait pas toujours été ce vieillard ronchon pestant contre tout et surtout contre elle… sa mère, qui dans ses jeunes années n’était pas celle que l’échec en la course aux biens de ce monde avait transformée en harpie acariâtre. Ses parents avaient été autrefois de bons parents, avant qu’ils ne se fassent dévorer… par quoi d’ailleurs ? L’envie, la rancœur de végéter dans des postes subalternes, la jalousie vis-à-vis des voisins alors qu’ils possédaient plus qu’il n’en faut. Elle pensa à la petite Anne-Sophie qu’elle harcelait depuis son arrivée à l’hôpital, comme pour lui faire payer son bonheur familial. Mais elle repensa à toutes les aides-soignantes qu’elle avait eues sous ses ordres en 15 ans de carrière, et elle se dit que jamais elle n’avait trouvé autant de dévouement et de bonne volonté que chez elle. Elle avait de la chance d’être dans une famille unie. De la chance ? Arrête de te mentir Martine, pensa-t-elle… Tu as voulu ta liberté ? Tu l’as maintenant, et à 42 ans, tu es là dans ton bureau toute seule à pleurer comme la reine des abruties que tu es pendant que d’autres sont heureux en famille… Et cette pauvre gosse à qui tu as bien pourri la vie depuis un an, à coups de remarques bien blessantes, de dénigrement de son style de vie et de mesquineries comme la faire travailler le vendredi saint alors qu’elle voulait sa soirée et que cela ne dérangeait pas son service. Tu deviens aigrie et méchante, ma vieille, comme ta mère… Une famille bien à elle… Voilà ce qui lui manquait. Seule ? Mais elle ne l’était pas… Il y avait à l’autre bout du couloir quelqu’un au moins aussi seul qu’elle. Elle courut vers la chambre. Le bébé ne dormait pas et gazouillait dans son couffin en agitant une girafe Sophie. Elle le prit dans ses bras, retrouvant les gestes de cet instinct maternel dont elle avait nié l’existence pendant des années. Bébé faisait risette. Avec une boule dans la gorge, elle déclara : “ Qu’est-ce que tu en dis bébé ? Tu vois, on est les deux abandonnés…Tu sais, tu en as de la chance toi… Il y a encore deux ans, ta mère t’aurait avorté et tu ne serais pas là pour me faire de jolis sourires… ” La doctoresse avait les yeux qui piquaient. Car le bébé né sous X qu’elle voyait sous ses yeux, bien vivant, lui rappelait un bébé qui n’était jamais né. Le sien. Celui qu’elle aurait dû avoir. Celui qu’elle avait tué en se faisant avorter il y a de cela bien des années. Le médecin, elle n’avait jamais su si cela avait été volontaire ou non, l’avait rendue définitivement stérile. Et travailler dans une maternité l’avait rendue aigrie. Elle regarda le bébé : “ Dis donc, petit garçon, tu n’as même pas de prénom… Cela te dirait de t’appeler Bertrand ? ” Le bébé agita ses petites mains, ce qu’elle prit pour un acquiescement. Elle le reposa dans son berceau, puis, songeuse, elle retourna à son bureau. Machinalement, la doctoresse ouvrit le tiroir où étaient rangés les formulaires d’adoption. Quelques instants plus tard, elle remplissait de son écriture rapide de médecin les différentes lignes. Nom de la famille d’adoption : Berthier. Prénom du chef de famille : Martine. Profession du chef de famille : médecin obstétricienne. Prénom de l’enfant adopté : Bertrand.
Les cloches de toutes les églises de Tradiland sonnaient. Nous étions le jour de Noël. La neige avait cessé de tomber dans la nuit et tout était recouvert de blanc. Tous les journaux titraient “ JOYEUX NOÊL ” et dans les rues, les gens se souhaitaient les meilleurs vœux. Rien à signaler sur l’ensemble du front. Pas d’incident notable sur l’ensemble du territoire. Le nouveau pays fêtait son premier Noël. Quelque chose de nouveau germait dans la zone libre. Personne, pas même l’Imperator, ne savait ce que la nouvelle année réserverait. Le nouveau maître des destinées gabonaises, le général Marlin, avait déclaré que la totalité de la production de pétrole de son pays était réservée à Tradiland dans le cadre d’un échange matières premières – produits finis. Déjà, on ouvrait près de Niort un vaste complexe universitaire pour la formation des cadres du Gabon nouveau et d’où sortiraient prêtres, officiers, ingénieurs, médecins qui, vivant entre eux dans leur cité, rentreraient au pays dès la formation terminée. Mais les esprits curieux s’apercevraient que ces noirs, officiellement tous Gabonais, étaient pour plusieurs d’entre eux Congolais, Centrafricains, Camerounais, Togolais, Béninois, Ivoiriens, Burkinabés, Sénégalais… Aucun rapport avec les lignes précédentes : le matin du 26 décembre, le Ministre des Affaires Etrangères était convoqué chez l’Imperator avec son confrère de la Coopération. Ouvert en grand sur le bureau, un dossier marqué “ ULTRA-CONFIDENTIEL, ACCREDITATION BLANCHE. PROJET AFRIQUE OCCIDENTALE FRANCOPHONE / AFRIQUE EQUATORIALE FRANCOPHONE ”…

Chapitre 32 - Bombes sur Clermont-Ferrand

Un vieux tourne-disque d’enfant tournait, futile et dérisoire, dans cette cave où ils s’étaient réfugiés. Fonctionnant avec des piles, il n’était pas tributaire de l’électricité qui avait été coupée. Blottie près du haut-parleur, Amélie, 12 ans, écoutait en boucle une vieille chanson du siècle passé, décembre 1986 très exactement (elle n’était même pas née) d’un groupe américain qui eut son heure de gloire dans les eighties : Crowded House, qui fut deuxième au Billboard (le Top-50 américain) avec la chanson qu’écoutait en ce moment la fillette : Don’t dream it’s over. Amélie ne comprenait pas l’anglais mais trouvait la musique jolie. “ We know they won’t win ” (Nous savons qu’ils ne gagneront pas) disait le refrain. Voilà qui aurait pu mettre du baume au cœur à ces familles réfugiées dans l’abri anti-aérien du secteur de la cité ouvrière Michelin. Le disque se termina par cette phrase qui aurait pu être reproduite telle quelle dans les médiats du régime : “ Don’t ever let them win ” (Ne les laissons pas toujours gagner). Amélie ne remit pas le bras pour écouter une trente-cinquième fois le disque. Elle pleurait car elle sentait vaciller l’abri et de petits bouts de béton s’étaient détachés du plafond. Il y avait une cinquantaine de personnes dans le vaste sous-sol du supermarché transformé en abri-antiaérien. Pour la première fois depuis le début du conflit, Clermont-Ferrand était bombardée par les Mirage-2000 du gouvernement central.
La plupart des réfugiés de l’abri avaient été surpris à leur domicile, l’alerte ayant eu lieu à 10 heures du matin en ce mercredi. Les chefs de blocs en uniforme du parti avaient conduit les habitants vers le centre commercial dès que les sirènes avaient déclenché l’alerte aux avions. C’est en courant que les gens s’étaient précipités vers les abris sous la garde d’un chef de groupe. En surface, les miliciens renforcés par des volontaires des Jeunesses Impériales patrouillaient pour éviter les pillages, parer à d’éventuelles catastrophes domestiques ou prêter main forte aux équipes de pompiers dans le cas où des zones sensibles seraient touchées, comme par exemple les dépôts de carburant de Cournon d’Auvergne. Déjà, des ambulances et du personnel hospitalier réquisitionné venaient d’Aurillac, de Vichy et d’Issoire… Immédiatement, ordre avait été donné aux unités de génie de la Garde Noire et du 92e de montagne de se mettre en position pour assurer le déblaiement. Les lycées et collèges de garçons de l’Auvergne (composée des anciens départements du Puy de Dôme et du Cantal) et du Bourbonnais (l’ancien Allier), catégorie 1 et 2, furent fermés pour la journée et les élèves mobilisés par le Parti pour les assister. Les radars avaient signalé une force ennemie de 24 appareils, qui avaient décollé de Dijon. Vu l’évolution du vol, Vichy et Clermont-Ferrand furent mis en état d’alerte, une attaque sur Moulins et Montluçon ayant été jugée peu probable.
Tout le monde était dans l’abri quand le bruit des premières bombes et des premiers missiles se fit entendre. L’électricité sauta rapidement mais des lampes-tempêtes avaient été prévues. Mis à part quelques personnes âgées, plus personne ne se souvenait des bombardements de la ville par les Américains lors de la dernière guerre. Les gens avaient vécu jusqu’à ces derniers mois dans une fausse paix trompeuse, à peine troublée par la guerre civile. La majorité des personnes de l’abri étaient des Clermontois. Les problèmes des banlieues ne les concernaient peu. Même lorsque la guerre les atteignit, elle fut si courte qu’ils ne la virent guère : après la défection du 92e RI et la destruction des brigades citoyennes locales, il y eut le transfert de population qui vida la Croix-Neyrat, la Fontaine-du-Bac et le vieux Montferrand de sa population refoulée vers le nord et l’est et remplacée progressivement par des familles de réfugiés des camps 71 et 72. Parfois, quand une bombe tombait vraiment près, les piliers qui maintenaient le sous-sol commençaient à trembler. La dernière bombe avait dû frapper le centre commercial. On entendait les bruits habituels de la guerre : le souffle des explosions, le pom-pom des canons de DCA, les sirènes des véhicules de la Milice, des ambulances ou des pompiers. Une mère de famille berçait son bébé. Une petite fille de 6 ans serrait contre elle sa poupée pendant que sa maman la rassurait : “ Ne pleure pas ma chérie, les vilains avions vont partir ”. Un contre-maître faisait les 100 pas en fumant une cigarette qui pourrait bien être la dernière. Le chef de bloc expliquait à tous les enfants des établissements scolaires catégories 3 et 4 que les ploutocrates étaient des lâches qui se complaisaient à bombarder des villes sans défense, jadis l’Allemagne, hier la Serbie et l’Irak, aujourd’hui Tradiland, mais que la fin de leur règne était proche car, dixit l’homme en chemise blanche, “les cadres de l’ordre nouveau formés dans les écoles de catégorie 1 rassembleront nos forces des églises, des usines et des campagnes et, guidant le peuple grâce à nos intellectuels et nos officiers, briseront les chaînes qui maintiennent nos frères en esclavage ”. Rien de moins. Avec ce genre de rhétorique, on comprend mieux pourquoi l’Imperator et le maréchal Bayanev étaient parvenus si rapidement à un traité d’assistance militaire…
L’histoire était entrain de s’écrire et les gens terrés dans ce sous-sol de supermarché la subissaient plus qu’ils n’y intervenaient. Depuis que les rebelles avaient pris le contrôle de la capitale auvergnate, beaucoup de choses avaient changé, en bien ou en mal en fonction du côté duquel on se place. La musique avait changé, de même que les programmes de la télévision, le contenu des cours pour les enfants, les films à l’affiche. La mère d’Amélie se souvenait des séries télé d’avant-guerre, clichés politiquement corrects, convenances protocolaires : le méchant raciste était forcément blanc, le Maghrébin toujours innocent, le Juif toujours victime. En histoire, c’était la sale France de Vichy, la sale France coloniale, le démon hitlérien. La musique était celle des groupes nègres de rap… Maintenant, tout avait changé. Enfin, le contenu surtout, pas vraiment les méthodes. Comme lors des batailles on passe à gauche, au centre ou à droite, en propagande il n’y a pas 300 méthodes… Donc, nouveaux films, nouveaux messages, nouveaux gentils, nouveaux méchants, vieille technique… Dans les séries policières, le pauvre flic de souche était victime d’accusations mensongères de racisme, le violeur et le tueur étaient plus conformes à la représentativité de la page “ faits divers ”, le financier véreux s’appelait plus souvent Aaron Blumenstein que Charles-Hubert de la Haute-Branche… En Histoire, on continuait le devoir de mémoire. Mais pas le même : crimes de Roosevelt, crimes de Churchill, crimes de la République, crimes du FLN. On avait démoli des statues, érigé d’autres. Les coupables d’hier étaient les héros d’aujourd’hui, et vice et versa. Et le plus comique, c’est qu’à 82 % les gens s’en moquaient, et ceux qui, jeunes adultes le 21 avril 2002, avaient défilé poing serré en criant “ A mort Le Pen, Vive la République !” étaient les parents de ceux qui défilaient maintenant place de Jaude bras tendu en criant “ A mort les traîtres, Ave Imperator ! ”
Au Bunker Palace, le général Fichaux, chef de la défense aérienne, faisait le bilan : “ Nous avons à déplorer environ 300 morts, essentiellement quand ils ont délibérément bombardé trois objectifs civils : la cathédrale, l’Hôtel-Dieu et La Châtaigneraie. Nous avons réussi à abattre 5 appareils ennemis avec les batteries de DCA d’Aulnat, d’Orcines et du Crest. Notre chasse est insuffisante et est mobilisée pour les campagnes extérieures. Ils peuvent revenir à n’importe quel moment, nous serons toujours impuissants face à eux. Là, ce n’était qu’un petit bombardement, mais imaginez qu’ils décident de nous refaire Dresde… ” Mains dans le dos, l’Imperator regardait par la fenêtre. “ Nous avons comme objectif d’aligner avant la fin de l’année 8 escadrilles de chasse et 4 de bombardement, sans oublier les unités de reconnaissance. Le traité de coopération signé avec le maréchal Bayanev nous fournira les avions nécessaires, essentiellement des appareils venus des stocks de l’ancienne Armée Rouge, mais aussi de la Chine populaire et de la Corée du Nord, le tout transitant par Minsk. Pas vraiment modernes, mais rustiques, faciles à entretenir. Nous devons réussir à convaincre Moscou, qui ne respecte pas l’embargo contre nous, de nous fournir via l’Ukraine 6 bombardiers lourds Tu-95 et 12 bombardiers Tu-22. Ne rêvons pas, jamais nous n’obtiendrons l’accord des Russes pour acheter 6 de leurs Tu-160… Pourtant, ces Blackjack nous auraient été fort utiles, mais bon, on va se contenter des Backfire… Dès que les pilotes auront été formés et les appareils arrivés, nous allons pouvoir lutter à armes égales. Mais pour le moment, nous devons songer à enterrer nos morts et faire passer aux usurpateurs toute envie de réitérer ce genre de lâchetés… ”. Il mit en marche son interphone et lança : “ Charbonnier, ma petite, vous me faites venir illico le général Dieuze… ” Quelques instants plus tard, le chef d’état-major des armées tradilandaises faisait son entrée dans le bureau impérial. Tendant le bras droit et se frappant la poitrine de la main gauche avec son béret noir des troupes d’élite, il lança : “ Ave Imperator ! Servitori te salutant ”… La réunion d’état-major se prolongea durant une heure. Entre-temps, ils furent rejoints par le colonel Hoffmann, qui portait les pattes de col orange des unités stratégiques…
L’Archange Gabriel se posa sur l’aéroport d’Aulnat qui n’avait même pas été touché. La Prestige impériale se dirigea vers les quartiers touchés par l’attaque archéo-française. La cathédrale avait été frappée de plein fouet, on le remarquait dès l’arrivée dans la ville. Des colonnes de fumées impressionnantes s’élevaient à divers endroits de la ville, preuve de l’utilisation de bombes incendiaires, lâchées notamment sur l’Hôtel-Dieu, le Cours Sablon, Montferrand, la Muraille de Chine et les communes voisines de Beaumont, Chamalières et Gerzat. Les sirènes des ambulances hurlaient dans la ville, de même que celles des voitures de pompiers. Quartier par quartier, l’Imperator visitait la ville meurtrie, utilisant sa force physique herculéenne pour aider à déblayer un immeuble, transporter un blessé, ou donnant même son sang dans un cas d’urgence. Devant un parterre de survivants, il promit des “ représailles bibliques ”. Il tint parole.
La totalité des émissions de radio et de télévisions stoppèrent immédiatement leurs émissions. Le jingle des grands jours et des heures sombres retentit et la voix martiale annonça le gimmick habituel : “ Tradilandais, Tradilandaises, votre chef bien-aimé vous parle ”. Le fond de l’image montrait l’Imperator au PC des Opérations, signe que les événements étaient graves. “ Ave ! Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, les usurpateurs ont continué dans leur logique de génocide de notre peuple en bombardant ce matin à 10 heures la ville de Clermont-Ferrand. Ils ont bombardé les quartiers civils, notamment deux hôpitaux. J’ai vu périr des gens qui n’étaient pas des combattants, j’ai vu une maternité touchée par les bombes et des bébés mourir dans les premières minutes de leur vie, coupés en deux avec leur pauvre mère par les bombes des criminels ploutocrates. Aussi, en concertation avec le général Dieuze, chef des Armées, le colonel Hoffmann, chef des Forces Stratégiques, Monseigneur Collet évêque de Clermont et le général Grand, n°2 du Parti, j’ai décidé de mettre la totalité du pays en Défense Contrôle 3 et de prendre les dispositifs du plan Malchius. J’avais promis des représailles bibliques. Je tiens mes promesses ” D’un geste nerveux, il pressa sur le bouton rouge. Quelques secondes plus tard, les forces du 150e régiment de guerre stratégique virent les missiles de leurs camions pointer droit vers le ciel. Dans un bruit de tonnerre, une salve s’en alla semer la mort de l’autre côté de la ligne de front…
Au NORAD (Dakota, USA), centre des forces stratégiques de l’armée américaine… “ 5 missiles sol-sol conventionnels de type SS-20 dénucléarisés viennent d’être tirés depuis le centre de la France, zone rebelle. Trajectoires calculées, impacts probables : Rouen, Toulouse, Marseille, Lyon, Paris ”. En renforçant et modernisant le système de guidage, les anciens missiles SS-20, devenus dans la nomenclature rebelle AR-3 (armes de représailles 3) avaient atteint une précision de 5 mètres. Tous les missiles atteignirent leurs cibles : la raffinerie de pétrole de Petite-Couronne, l’usine SNPE de Toulouse, l’usine Eurocoptère de Marignane, la centrale nucléaire de Creys-Malville et l’Assemblée Nationale… Le bilan fut un peu moins lourd que celui de Clermont, mais les effets dans le morale de la population furent désastreux pour le gouvernement, car, notamment en ce qui concernait les frappes sur Toulouse, Rouen et Lyon, la dangerosité de ces objectifs frappés “ avec retenue ” laissait présager le pire si Tradiland décidait de passer au format supérieur… A titre anecdotique, le bombardement de Paris fit au moins 38 heureux : les suppléants des députés dont les corps avaient été retrouvés dans les décombres du Palais Bourbon…

Chapitre 27 - Le Pensionnat d'élite

« Cette petite fille a bon fond et j’aimerais qu’on lui donne une chance de connaître autre chose que le cloaque putride d’où elle vient ». Mademoiselle la directrice du pensionnat d’élite Sainte-Anne relisait pour la quatrième fois cette phrase anodine mais aux allures d’ordre indiscutable qui finissait le fax venant du Bunker Palace, le Palais Impérial, signé par l’Imperator en personne. D’après ce que lui avait appris le reste du fax, la petite fille s’appelait Ludivine, était âgée de 8 ans et donc serait scolarisée probablement en CE2. Il fallait lui trouver un trousseau complet, une place dans le dortoir des petites, l’intégrer dans une équipe où elle se sente à son aise et le tout, en un temps record. Elle décrocha le téléphone et composa le numéro personnel de la Matrone, la « mère de la nation ». Il y avait de cela un certain nombre d’années, une petite fille de 7 ans avec des barrettes avait franchi la porte du pensionnat, sa petite valise dans la main. La directrice d’alors, dont le portrait ornait aujourd’hui la grande salle à manger des professeurs aux côtés de ceux de Mgr Lefebvre, de Mademoiselle Luce Quenette et de Saint-Pie X, l’avait accueillie jovialement et l’avait présentée à sa future chef d’équipe, une grande adolescente dont les immenses cheveux blonds tombaient en cascade sur sa blouse bleue. La fillette était devenue directrice, l’adolescente Matrone.

Touchée dans son cœur de mère par la détresse de l’enfant, la Matrone prit en personne la direction des opérations. Une heure plus tard, Ludivine se retrouvait dotée d’un trousseau complet grâce à la solidarité des organisations de mères de famille et de la Fraternité Néo-française. Dans le pensionnat, les petites s’étaient rassemblées dans la salle à manger pour le repas du soir quand le 4 x 4 de la Milice fit son entrée dans la cour. Les fillettes, informées de l’arrivée d’une nouvelle, mirent le nez à la fenêtre avec la complicité de la surveillante générale tout aussi curieuse. Quelques instants plus tard, la petite réfugiée fit son entrée dans la pièce, sa valise à la main. “ Mesdemoiselles, je vous présente une nouvelle petite camarade. Elle s’appelle Ludivine et vient du camp de réfugiés 71. Je compte sur vous pour lui faire bon accueil ”. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la petite fille se sentait totalement perdue. Même si les autres fillettes étaient d’un naturel gentil, elles étaient tout de même assez espiègles. Suffisamment en tout cas pour que la tenue vestimentaire de Ludivine suscite l’hilarité générale, spécialement son pantalon en toile de Gênes teint en bleu de Nîmes, ces blue gênes transformé par évolution linguistique en blue jeans. Ludivine était trop jeune pour avoir vu le film Pretty Woman mais c’est un peu ce qui lui arriva. D’une vilaine petite chenille d’une cité HLM, mademoiselle la directrice réussit à faire un joli petit papillon tradilandais. « Mon Dieu ! Mais ma pauvre enfant, vous êtes fagotée comme un épouvantail à moineaux ! » pensa la directrice qui ne le dit pas pour ne pas vexer la fillette.
Une moyenne de sixième ne put s’empêcher de lui lancer : « Ludivine, tu es un petit garçon pour avoir un pantalon ? ». Se tournant vers les autres fillettes, la directrice déclara : « Surtout ne vous moquez pas d’elle. Ce n’est pas de sa faute si elle est habillée comme ça ! Vous savez les petites filles de la République n’ont pas la chance de recevoir votre instruction. Dès leur enfance, on les dresse dans la laideur, dans l’inculture, dans la haine de soi, dans l’ignorance de Dieu, dans le mensonge et dans le péché. Ludivine a besoin de toute votre aide, je compte sur vous mesdemoiselles ». La fillette fut amenée dans le dortoir des petites et vida sa valise sur son lit, découvrant les vêtements qui lui avaient été donnés et qu’elle n’avait jamais portés auparavant. Elle ne comprenait pas pourquoi les petites filles avaient ri de son pantalon, toutes ses amies en portaient dans son école. Jamais elle n’avait vu de petites filles habillées de cette façon : elles étaient toutes pareilles, le même uniforme, seules les coupes de cheveux différaient.
« Allez Ludivine, on se change ma petite !!! » lui ordonna la directrice d’un ton ferme mais maternel. Comme une petite chenille se dépouille de sa chrysalide, elle retira ses frusques qui étaient peut-être « kiffantes » dans le 9-1 mais qui étaient pour le moins ridicules ici, pour revêtir l’uniforme modeste mais chargé de prestige de l’école d’élite Sainte-Anne-de-la-Providence, l’école préférée de l’Imperator puisque ce fut celle de la Matrone, marraine comme il se doit de l’établissement et dont le nom avait été donné à l’unité d’élite VELAY I/1. Une fois par mois, « la Mère de la Nation » promenait sa célèbre robe marron dans les couloirs de l’établissement et les fillettes étaient fières de montrer leurs cahiers biens tenus à l’Imperator. Ces visites étaient très prisées des écolières, pour qui elles étaient une sorte de récompense. La Matrone avait été comme elles une petite fille en blouse bleue, qui avait joué à la poupée entre ces murs, qui avait fait en son temps ce qu’elles avaient fait, qui avait aussi descendu en luge les pentes de la cour de récréation, travaillé dans le jardin (elle était restée célèbre dans l’histoire de l’école pour son aptitude à planter les tulipes à l’envers), étudié dans la salle de classe, prié dans la chapelle… C’était il y a de cela bien longtemps, bien avant la guerre de libération, à l’époque où on espérait trouver peut-être une solution politique à la crise entre les deux sociétés. Ludivine était à la croisée des chemins : elle avait quitté l’Enfer, on l’avait sortie du Purgatoire, en se changeant, elle resterait au Paradis. Mais elle sentait confusément qu’il faudrait peiner pour être acceptée. Ces petites filles étaient tellement différentes d’elle… Ludivine retira ses baskets, son jean, son sweat-shirt et ses chaussettes fantaisie. En sous-vêtements et pieds nus, elle ressemblait à une petite fille anonyme comme une poupée. Maintenant, elle entrait dans son nouveau monde. Elle enfila par-dessus son maillot de corps (à l’école on appelait ça une « petite chemise ») une combinaison (vêtement dont elle ignorait jusqu’à l’existence), puis la chemise de l’école couleur bleue. Pour la première fois de sa vie, elle mit une jupe, la jupe plissée d’uniforme couleur marron-grise. Pour finir, elle mit des socquettes blanches, des mocassins à brides et enfila la blouse d’écolière en nylon bleu-ciel. « Très bien, maintenant, on va changer cette coiffure... ». Assise sur une chaise, Ludivine vit la directrice revenir avec une brosse et rapidement, le petit visage rond et potelé fut encadré par deux jolies nattes brunes. Ludivine se regarda dans la glace et ne se reconnut pas. Ce n’était plus elle, c’était une autre Ludivine… « Voilà le vilain petit canard devenu un joli cygne », lui dit la directrice en souriant, « c’est mieux comme ça non ? Tu ressembles enfin à une petite fille ! ».
La petite fille qui dormait dans le lit d’à côté était en 9e comme elle. Elles firent connaissance en attendant leur tour d’aller faire leur toilette. La voisine de dortoir de Ludivine était une petite blondinette malicieuse, au mignon petit nez retroussé, coupe au carré et serre-tête à nœud dans les cheveux. « Bonjour, moi c’est Marie-Astrid, on est dans la même classe ! Moi je viens de la Haute-Loire, j’ai cinq frères, trois sœurs, mon papa il est lieutenant-colonel dans les troupes de choc et elle c’est Caroline ma poupée préférée. Et toi, tu es une réfugiée aussi, on en a eu beaucoup au tout début. Nous, on n’a pas eu besoin. Mon papa, il s’est rallié à l’Imperator avec tout son bataillon de chasseurs-alpins, et c’est mon Papa qui a libéré Poitiers !!! Et toi, il fait quoi ton papa ? ». Ludivine eut un petit air triste : « Mon papa, je sais pas qui c’est. Maman et lui, ils ont divorcé quand j’étais bébé » Marie-Astrid la regarda toute étonnée : « Ça veut dire quoi divorcé ? » « Ben ça veut dire que le papa il est parti et qu’on ne le voit plus. Il n’y a pas de petites filles sans papa ici ? » Marie-Astrid eut un voile de tristesse sur son visage : « Si. Il y a Marie-Marguerite, qui est en 7e, son papa, il a été tué sur le Front de l’Est et puis il y a Anne-Charlotte, elle, ils ont assassiné son papa et son frère, elle a réussi à gagner nos lignes avec sa maman et le reste de sa famille. Ils sont partis trop tard d’Alsace… » Elle marqua un temps d’arrêt : « Mais toi, tu n’as pas de poupée ? ». Ludivine se mit à pleurer : « Tous mes joujoux sont restés dans l’appartement, j’ai plus rien ! J’ai juste un nounours, mais c’est maman qui l’a dans sa valise, j’ai plus ma console de jeux vidéo, j’ai plus mon baladeur, j’ai plus ma télé.. » Marie-Astrid ouvrit son placard et lui tendit une poupée : « Tiens, elle c’est Madeleine, ma deuxième poupée préférée. Je te la donne ! C’est maman qui lui a tricoté son chandail quand elle a été en prison sous la République parce qu’elle avait voulu sauver les bébés à naître. Au fait, une télé, je sais ce que c’est, il y en a une à l’école pour le magnétoscope mais chez nous on n’en a pas, mais une console c’est quoi ? Nous on a une console à la maison, mais c’est un meuble où maman met son vase, c’est autre chose non ? Tu écoutes le baladeur ? Tu sais, c’est drôlement dangereux pour les oreilles… »
Le lendemain, Ludivine fut dispensée de classe afin qu’elle puisse voir comment vivait sa nouvelle école, qu’elle se familiarise avec le règlement et l’organisation. Le matin, les petites allaient faire la prière à la chapelle, chose totalement inconnue de la part de Ludivine qui n’était même pas baptisée. C’était comme une grande famille dans cette école avec « maman » la Directrice, « grandes sœurs » des classes des lycées et « parrain et marraine » les dirigeants. Il y avait la classe, il y avait les services, il y avait la récréation, il y avait la prière. Totalement différent de chez elle ! Pour le moment, elle ne sentait pas encore perdue mais cela viendrait rapidement. Comment parler à des petites filles qui ne connaissaient aucun groupe musical, aucun des films qu’elle avait vus, qui ne jouaient pas aux mêmes jeux, qui ne parlaient pas pareil et qui en plus ne mangeaient même pas comme elle, pas de Big Mac, pas de pizza, pas de chewing-gum ??? Elle n’était plus chez elle dans cette banlieue où des filles de sa classe, des filles qui avaient été ses amies, avec qui elle avait toujours été gentille, avec qui elle avait partagé les mêmes CD, les mêmes jeux, les mêmes activités avaient fini par lui cracher dessus en la traitant de «sale kafira, sale roumia, sale toubab, sale fromage… ». Elle n’était pas plus chez elle dans le camp de réfugiés, cet univers de tentes et de barbelés où s’entassaient des gens qui ne voulaient plus vivre dans une société et dont l’autre ne voulait pas. Mais ici, serait-elle chez elle, dans ce monde-là. Le monde où les petites filles apprennent à faire la révérence, à bien se tenir, un monde où il faut respecter le règlement et où se sont les élèves elle-mêmes qui jardinent, qui cousent, qui lavent et qui font la cuisine, tout comme les professeurs d’ailleurs ! Un monde réglé comme une horloge.
L’école était un univers de blouses bleues, respirant la joie de vivre et ne se posant aucune question. Elles vivaient leur vie comme si rien d’autre n’existait au-dehors. Le matin, entre la prière et le petit-déjeuner, on hissait les couleurs, qui étaient descendues le soir. On se rassemblait aux ordres de la chef d’équipe, par ordre décroissant en fonction de l’âge : chef d’équipe, chef-adjoint, 3e d’équipe, 4e d’équipe, 5e d’équipe, ce que serait Ludivine vu son petit âge. Il y avait le tableau des services : couture, jardinage, entretien, cuisine, aller chercher le lait, aller couper du bois… En visitant l’école, elle tomba sur deux jeunes adolescentes qui jardinaient. La même blouse bleue mais deux filles très différentes : une blonde boulotte à la bouille toute ronde et au regard qui respirait la bonne volonté mais pas vraiment l’intelligence et une brune altière, le teint mat, type hispanique, qui visiblement était une demoiselle de grande classe, belle et brillante. Toutes les deux répandaient du fumier pour aider à faire pousser les cultures et avaient les mains pleines de terre, la blouse n’étant pas en meilleur état. La blondinette menait les opérations : « Jacinthe, il faut en mettre plus ici, cela ne poussera jamais sinon ! ». Elles s’arrêtèrent pour dévisager la nouvelle. « Bonjour, je ne t’ai jamais vue ici, tu viens d’arriver ? Tu t’appelles comme et tu viens d’où ? Moi c’est Séverine Gargilier, on vient de la Haute-Savoie et mes parents ont repris un élevage de moutons dans la région, je passe les vacances de juillet chez Jacinthe et elle, en août, elle vient nous aider à la ferme et c’est très drôle de la voir s’occuper des agneaux… » La brune la regarda, mi-amusée, mi-agacée… « Bon, tu ne veux pas raconter ma vie non plus… Bienvenue Ludivine, je suis Jacinthe Tornadeo y Canizares, vicomtesse de Garofa, et rien de tel pour cultiver la vertu d’humilité que d’avoir les mains dans le fumier quand on est la fille d’un Grand d’Espagne et de son excellence l’Ambassadeur d’Espagne à Prague… Séverine est fille de pauvres fermiers, moi fille de noble et nous partageons la même chambre, portons la même blouse, le même uniforme et partageons la même vie. Ici, nous sommes toutes traitées sur le même pied d’égalité, quelque soit notre milieu social, notre nationalité ou nos capacités intellectuelles. Toutes égales devant Dieu et devant Mademoiselle. Pas de favoritisme, c’est le dogme de l’école ». Ludivine repartit, songeuse… Et le soir, allongée dans son lit, le pouce dans la bouche et la poupée de Marie-Astrid blottit contre elle, elle s’endormit en se demandant si elle, si différente, serait elle aussi traitée comme les autres petites filles. Elles étaient toutes gentilles, mais se ferait-elle aux multiples règlements et à ces rites qui semblaient naturels à des fillettes baignant dedans depuis leur naissance mais qui, pour elle, étaient aussi étrangers que pouvaient être les siens à ses nouvelles camarades. A la première visite dans l’école, sa maman se posa pendant des jours la même question. Pourquoi avait-on laisser dériver dans une incompréhension totale deux pans de la société jusqu’à l’irrémédiable, jusqu’à cette nécessité non seulement de vivre, mais pour cela de devoir détruire l’autre ? Dans le camp de réfugiés, elle avait espéré une entente qui mette fin à cette abominable guerre civile, mais lors de son séjour à l’hôpital elle avait compris que c’était impossible. Aucun des deux camps ne cèdera pour la bonne et simple raison que la moindre concession se ferait au détriment de leurs valeurs fondatrices. L’un voulait la démocratie universelle et pour cela, il devait détruire l’opposition qui incarnait l’autre. Et réciproquement. Elle comprit que la guerre pouvait durer des générations : le gouvernement avait l’appui international, le nombre, la propagande. La rébellion tradilandaise avait le courage, l’efficacité et la détermination des gens qui n’ont plus rien à perdre. En repensant à sa petite fille en uniforme, riant et jouant avec les autres, elle se mit à pleurer : Ludivine serait une des leurs mais elle, sa mère, serait toujours une étrangère, ici comme ailleurs. Aux Ulis, on lui a fait comprendre qu’elle n’était plus chez elle mais ici, elle comprenait qu’elle n’était pas chez elle… Et il n’y avait pas d’alternative, de troisième voie : si tu n’es pas dans mon camp, tu es dans celui d’en face et tu en paies le prix !!! Fumant une cigarette, elle renvoya dans la même Géhenne l’incapable corrompu, héroïnomane et obsédé sexuel qui était le pantin à la solde des lobbies qui dirigeaient la République Française et l’intransigeant Imperator de Tradiland, au strict rigorisme religieux et politique, Pater Familias d’un état neuf transformé mi-caserne, mi-phalanstère religieux et certain d’être infaillible en tout point. D’un côté : la liberté, de l’autre la sécurité. Et elle, au milieu, perdue comme une brebis lâchée par le troupeau…